L’avant-garde russe à Vitebsk, 1918-1922

Publié le 13/06/2018

Marc Chagall, Au-dessus de la ville, 1914-1918, Galerie nationale Trétiakov, Moscou.

Adagp, Paris 2018

Vitebsk, une ville russe, aujourd’hui en Biélorussie, est connue des amateurs de l’art de Marc Chagall, qui y est né et a réalisé plusieurs tableaux sur le thème de sa cité. Mais cette cité a également écrit un autre chapitre de l’histoire de l’art russe car c’est dans ses murs que l’artiste, alors commissaire des Beaux-arts, y a créé une école d’art révolutionnaire ouverte à tous.

Nikolaï Souiétine, Komposition (huile sur toile, 45 × 32,5 cm), 1920, Museum Ludwig, Cologne.

Adagp, Paris 2018

Cet événement, peu souvent mentionné, a permis de relancer la création et d’ouvrir des débats sur l’art au moment de la Révolution de 1917. Le Centre Pompidou évoque cette importante page d’histoire de l’art russe qui témoigne de la ferveur révolutionnaire à Vitebsk à l’occasion du 100e anniversaire de cette école populaire, avec la présentation d’œuvres de Marc Chagall et d’artistes d’avant-garde qu’il a invités à enseigner, parmi lesquels Kasimir Malevitch, El Lissitzky ou Ivan Pugni devenus figures incontournables de cette période. Sont ainsi présentées en une scénographie claire plus de deux cents œuvres ainsi que des documents ; un panorama de l’art russe d’avant-garde révélateur du bouillonnement post-révolutionnaire.

Il est difficile de se représenter Marc Chagall à l’aise dans cette période qui bouleverse tout avec l’arrivée du constructivisme et bientôt du suprématisme prôné par Kasimir Malevitch et El Lissitzky. L’entente entre les trois professeurs n’aura qu’un temps. En introduction est résumée en quelques œuvres la ferveur révolutionnaire ; Marc Chagall est troublé et intéressé par l’élan dynamique ambiant : En avant, de 1918, traduit ses enthousiasmes en une composition rythmée, schématique où un jeune homme « vole » au-dessus des toits. Elle contraste avec une toile figurative de la même époque Au-dessus de la ville ; là c’est un couple (l’artiste et sa femme Bella) en apesanteur survolant les habitations, une allégorie du juif errant. Réalise-t-il un art d’avant-garde ? Pas vraiment mais il célèbre la Révolution, créant un projet de panneau décoratif pour Vitebsk, en 1918, il fête ainsi le premier anniversaire de l’événement. Seuls les basculements des personnages dans ses tableaux symbolisent les changements politiques : Hommage à Gogol. Peuplées d’images parfois hétéroclites ses compositions sont habitées de rêve et de réalité mêlés.

El Lissitzky arrive le premier à Vitebsk, il ouvre dans l’école un atelier d’imprimerie, de graphisme et d’architecture et c’est lui qui, quelques temps plus tard, fera venir Kasimir Malevitch. Ce dernier impose rapidement le suprématisme qui exclut de plus en plus la peinture au profit de la géométrie. Très charismatique, il subjugue les élèves, les intéresse à ce monde nouveau à travers cette forme d’art, sorte d’utopie. El Lissitzky joue également un grand rôle ; il élabore des théories d’investigation nouvelles pour tous les domaines artistiques, comme le révèlent ses premières compositions Proun. Il souhaite créer un nouvel espace à travers des plans géométriques qui allient la peinture aux reliefs, à l’architecture. À l’école viendront des artistes cubo-futuristes, suprématistes, la figuration y est également enseignée, ainsi Robert Falk anime un atelier où il développe cet art. Ivan Pugni demeurera un artiste important de cette période de Vitebsk, créant des tableaux suprématistes dynamiques. Mais le conflit est inévitable avec Marc Chagall attaché à la figuration ; pour lui, l’art doit s’inspirer du monde visible. Déçu de voir les étudiants opter pour les nouveaux concepts où sont explorées les limites de la matière et de l’abstraction radicale, il quitte l’école de Vitebsk et se rend à Moscou.

Au fil des salles sont présentées des compositions figuratives de Natalia Gontcharova, puissants Lutteurs, une Vénus allongée, très présente, de Mikhaïl Larionov ou deux vues de Moscou, de Vassili Kandinsky, encore figuratif, mais affirmant une forte personnalité. Bien d’autres œuvres sont à découvrir ; elles évoquent l’exposition organisée par Marc Chagall en 1919, en préfiguration du musée qu’il souhaitait créer dans sa ville.

L’école de Vitebsk a été un véritable laboratoire d’étude mais les temps changent et au début des années 1920, l’art est sous l’emprise des autorités, il doit servir sa cause. Cependant, la création demeure en sous-main.

 

LPA 13 Juin. 2018, n° 136v3, p.30

Référence : LPA 13 Juin. 2018, n° 136v3, p.30

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