Le Bacchus n’était pas terminé !

Publié le 29/07/2022

Paolo Gallo/AdobeStock

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps. BGF

« Du Bacchus et Ariane, il n’y avait de fait que le char traîné par les animaux et les deux figures principales : Rien de plus facile à terminer, lui dit Titien, c’est l’affaire d’une quinzaine ! Désolé d’ailleurs d’avoir déplu à son puissant protecteur, le peintre consentait à prendre un engagement, il promettait la livraison pour le mois d’octobre ; comme notre ambassadeur insistait pour qu’il allât, en attendant, à Ferrare, se réconcilier avec le duc, Titien déclara qu’il ne partirait, cette fois, qu’avec un sauf-conduit écrit de la main du prince : À quoi bon, d’ailleurs, fit-il à plusieurs reprises, puisque j’aurai fini dans le délai que je vous dis et que je n’accepterai d’ici là aucune commande, vint-elle de Notre-Seigneur Dieu !

Le mois d’octobre arriva et le Bacchus n’était pas terminé ! Et le cher Tebaldi fut encore chargé d’exprimer la colère du duc ! Et Titien le reçut avec son calme imperturbable ! Il lui montra qu’il avait changé plusieurs figures, se refusant toujours à s’en aller à Ferrare, où il ne trouverait point, comme à Venise, toutes ses commodités pour ses modèles, hommes et femmes : Je fais ce que je puis, je vous jure ; je travaille tous les jours régulièrement à cette toile, au moins toutes les après-midi, puisque, dans la matinée, je suis obligé de travailler au palais ducal. Titien ne mentait pas. Un autre maître, qu’il avait plus d’intérêt encore à ménager, le gouvernement de la sérénissime république, dont il était le peintre officiel depuis la mort de Giovanni Bellini, ne le tourmentait pas avec moins d’énergie. Le Conseil des Dix, dans sa séance du 11 août 1522, avait voté une résolution, mettant le peintre en demeure d’achever avant le 15 juin la quatrième toile dans la salle du grand conseil, sous peine de déchéance de ses fonctions de courtier à l’Entrepôt des Allemands et de restitution au trésor de tous ses honoraires depuis six ans. Il fallait donc, bon gré mal gré, faire au moins preuve de bonne volonté !

Enfin, dans le mois de janvier 1523, Titien put annoncer au duc que le Bacchus et Ariane était achevé ». (À suivre)

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