Paris (75)

Le Ballet royal de la Nuit

Publié le 10/11/2020

Le Ballet royal de la Nuit

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Voici enfin à Paris la magistrale production du Ballet royal de la Nuit, créée en 2017 à Caen. Un spectacle total associant musique, chant, danse et mouvements d’acrobates pour illustrer un divertissement à la gloire du jeune roi Louis XIV, restitué à travers une féerie moderne, poétique et esthétique. Depuis des années, Sébastien Daucé s’est attaché à ramener à la vie ce projet conçu par Mazarin pour en imposer à tous, aristocrates et gens du peuple, dansé par le roi lui-même à Paris en 1653. Après un disque en 2015, vint une version scénique encore plus complète, assurément une des réalisations les plus étonnantes de la scène française ces dernières années. Pour remettre au grand jour ce ballet de cour, Daucé puise dans de nombreux manuscrits de musiciens de l’époque comme Michel Lambert ou Antoine Boësset, mais aussi chez des compositeurs italiens alors en vogue à Paris, tels Francesco Cavalli et son opéra Ercole amante ou l’Orfeo de Luigi Rossi.

Le Ballet est divisé en quatre « Veilles » et se termine par un grand ballet. Pour le chef, il ne s’agit pas de reconstituer à proprement parler, mais de faire œuvre imaginative en juxtaposant les styles des ballets français et italien, du chant français et de l’idiome vocal italien, témoins de la vivacité de la vie musicale parisienne au Grand siècle. Unifiant le tout, les textes dus à Isaac Benserade mêlent habilement tragique et comique, fantasque et féerique par un étonnant assemblage de figures de gens de tous les jours et de divinités. Chacune des Veilles traite un moment particulier de cette fascinante nuit : d’abord les occupations ordinaires de la fin de journée (« Nuit »), puis les divertissements ou la volupté des plaisirs (« Vénus »), « Hercule amoureux », mettant en scène les amours du jeune monarque, partie traversée de séquences infernales ordonnées par le Grand sacrificateur, enfin « Orphée », qui conduit au royaume des songes avec son ballet des quatre tempéraments humains et ramène peu à peu à la lumière. Laquelle éclate à l’épilogue, à la louange du Roi Soleil.

Il fallait une bonne dose d’audace pour mettre en scène pareil patchwork. Francesca Lattuada y parvient avec sensibilité et imagination. C’est une succession de tableaux d’une beauté à couper le souffle, d’une ingéniosité rare. On ne compte pas les morceaux de choix, grâce au recours à des circassiens pour alléger le propos en de folles acrobaties et des pyramides humaines, rappelant les Castells catalans. Et les idées hardies comme celle de confier le personnage de Louis XIV à un danseur noir au physique d’athlète, ce qui au-delà du jeu d’opposition ombre-lumière, est bien de nature à asseoir la conception du roi du monde, au sens d’universalité. On frôle le tragique ou surfe sur l’humour. Tout cela dans un contexte visuel ouvert où la décoration procède uniquement de la lumière extrêmement travaillée et de costumes d’une grande magnificence constamment renouvelés. La régie installe une animation fluide avec parfois des mouvements au ralenti.

La direction de Sébastien Daucé est d’une absolue plénitude sonore. Grâce aux envoûtantes sonorités de son Ensemble Correspondances : cordes soyeuses, petite harmonie dont le registre aigu avive l’oreille, telle la petite flûte recorder et tous ces bois éclatants de vie, surtout lorsque doublés par des percussions transparentes. La douceur caressante du son est au soutien du chant. Et notamment des chœurs de son Ensemble, d’une clarté d’émission remarquable. Les chanteurs, la plupart assurant plusieurs rôles, sont à l’unisson. On détachera Caroline Weynants, émouvante Eurydice et Deborah Cachet qui prête au grand air de Déjanire de fiers accents. Comme il en est de la mezzo Ilektra Platiopoulou, Junon, ou de Renaud Bres grandiose Hercule. Il faut aussi saluer la prestation d’une grande distinction du danseur Sean Patrick Mombruno en Roi Soleil, et celle de toute une compagnie d’acrobates et de jongleurs d’une immatérielle légèreté.

LPA 10 Nov. 2020, n° 157m7, p.20

Référence : LPA 10 Nov. 2020, n° 157m7, p.20

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