Le Douanier Rousseau, « l’innocence archaïque »

Publié le 16/06/2016

Henri Rousseau, dit Le Douanier Rousseau (1844-1910), La charmeuse de serpents, 1907, h/t, 167 x 189,5 cm, Paris, musée dOrsay.

RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Si le Douanier Rousseau (1844-1910) est aujourd’hui connu et apprécié, il fut longtemps moqué, décrié en son temps avant d’être considéré comme un véritable artiste.

Envers et contre tous, il a toujours cru en son talent. Henri Rousseau était employé à l’Octroi de Paris, et non douanier, mais il est entré sous ce vocable dans la légende, aidé par son ami Apollinaire qui en a fait un mythe. Picasso, Braque, Delaunay et d’autres l’appréciaient également.

Singulière et prolixe est l’œuvre de cet autodidacte que son origine modeste ne prédestinait pas à la culture. Il s’est formé au Louvre, notamment en copiant les tableaux qui l’inspiraient. Les thèmes les plus variés l’ont inspiré au cours de sa carrière féconde et multiforme : portraits, paysages, vues urbaines, jungles, natures mortes. Regardant ses tableaux, on s’interroge sur la « naïveté » de son art ; la gaucherie de ses mises en page, l’immobilité des personnages, sa palette colorée sont bien les apanages de ces peintres hors normes, mais Rousseau a créé un style où l’on retrouve un archaïsme pratiqué par nombre d’artistes au cours des siècles, et parallèlement il s’est intéressé à l’art de son temps, a fréquenté les artistes. Il est vraiment dans son époque et c’est ce que démontre l’exposition du musée d’Orsay en présentant, aux côtés d’œuvres du Douanier Rousseau, celles d’artistes qui ont inspiré sa création.

Le célèbre autoportrait dans un paysage accueille, parmi d’autres, le visiteur et l’on est frappé par l’utilisation de motifs modernes récemment apparus avec le développement industriel : cheminées d’usines, réverbères, dirigeables. Il invente les « portraits-paysages ». Rousseau peint avec une naïve application et s’inscrit cependant dans son temps, en témoigne La Carriole du Père Junier qui est ici rapprochée du Fiacre de Cara en 1916, l’analogie est forte. Quant à ses « Femmes-monuments », elles apparaissent impersonnelles, d’une vraie raideur, mais à les observer on en découvre la vérité, la magie poétique. Et c’est dans les portraits que l’influence du Douanier sur Picasso ou Diego Rivera se manifeste. Ses progrès techniques ne détruisent pas sa vision originale dans cette représentation souvent triste des modèles.

Loisirs, parcs, canotage inspirent au peintre des compositions sincères où la poésie demeure omniprésente. Un tableau retient l’attention : La Guerre, étrange, symbole de l’horreur avec les cadavres jonchant le sol et piétinés par un cheval ; dans cette œuvre le noir domine.

La série des « Jungles » possède quelque chose de fascinant. Rousseau révèle là son goût pour l’exotisme avec de somptueux décors végétaux, des plantes fantastiques adoucies de fleurs multicolores. Une végétation dense où se tapissent des animaux sauvages, où se déroulent des drames entre bêtes agressives ou avec l’homme. Mais le paradis existe aussi dans quelques compositions, telle Le Rêve, idyllique. Avec ses jungles, le peintre s’est évadé du quotidien ; c’est au Jardin des Plantes et non au Mexique – comme le laissait entendre Apollinaire – qu’il a trouvé ses modèles. Avec ces jungles, Rousseau s’est évadé du quotidien.

De 1880 à 1910, il a réalisé un « travail opiniâtre » selon son expression, il a réussi à synthétiser la solution des problèmes plastiques et l’élément poétique. Le Douanier Rousseau a conçu un art personnel sans le souci de la technique.

LPA 16 Juin. 2016, n° 116a2, p.23

Référence : LPA 16 Juin. 2016, n° 116a2, p.23

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