Le faussaire ne connaissait pas les poinçons

Publié le 12/09/2022

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« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs, au sous-titre évocateur: « Altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication en « feuilleton de l’été » consacré au « faux » en tout genre. BGF

« Tiens ! l’armet a quelques trous.

– Ce sont des traces de balles. J’aurais pu les faire boucher, mais j’ai préféré garder ces trous rouillés tels que le temps les a produits.

– Malheureusement, l’usure des siècles n’y est pour rien. Si nous avions affaire à une rouille naturelle, les bords des trous seraient amincis. Ils ont ici la même épaisseur que la pièce […] Voyons le plastron. Son épaisseur est bien faible. Mauvais signe ! Les armures anciennes étaient, en général, renforcées, surtout à la poitrine exposée de préférence aux coups. De plus, si le travail était ancien, le métal présenterait des inégalités que nous ne retrouvons pas ici. La pièce est d’une régularité désespérante.

– N’est-ce pas un témoignage de l’habileté de l’artisan ? Voyez les traces du marteau.

– Ruse de faussaire. Les armures anciennes étaient faites d’une étoffe de fer et d’acier, soudée « à chaude portée », « au blanc soudant », comme on disait alors. Aussi le travail de la forge n’était jamais uniforme. La vôtre, d’une épaisseur partout égale, est en tôle d’acier qui, ne se forgeant pas, s’écrase sous les coups de marteau, suivant un certain sens que je vous apprendrai à connaître.

– Et ces ornements, ces ciselures, ces dorures ?

– À première vue, ils peuvent tromper des novices, car ils sont copiés sur d’excellents modèles, mais si le dessin paraît bon, la ciselure laisse à désirer. Elle est faite à l’acide, et vous n’y retrouvez ni le ton particulier ni l’irrégularité du burin. Quant à la dorure, regardez-la de près. Lui trouvez-vous l’épaisseur de la dorure ancienne ? Il n’y a pas à s’y tromper. […] Ah ! voilà le comble. Votre faussaire n’était pas avancé dans la connaissance des poinçons ! Il a tout confondu, poinçons d’épreuve et poinçons de maître, marque du « Loup de Passau » des armuriers de Solingen et clefs couronnées des frères Nigroli de Milan. C’est de la poudre aux yeux, du bluff effronté !

– Alors, je n’ai plus qu’à envoyer mon armure à la ferraille ?

– Vous auriez tort. Bien que moderne, la pièce reste fort remarquable. […] Consolez-vous en vous disant que vous n’êtes pas seul à posséder de la fausse monnaie archéologique et que votre harnais vaut bien l’armure de joûte allemande du musée du Bargello de Florence, tout aussi moderne, mais moins parfaite que la vôtre ». (À suivre)

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