Le français en Europe, un recul consenti ?
Le président de la République a fait l’éloge du français le 30 octobre dernier à Villers-Cotterêts. Une célébration qui ne doit pas occulter la réalité : l’usage du français recule dans les institutions européennes.
À l’occasion de l’inauguration de la Cité Internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts, le président de la République, dans son discours prononcé le 30 octobre 2023, a fait l’éloge de la langue française, présente partout dans le monde et partagée par une diversité de populations sous toutes les latitudes. Ce fut l’occasion de vanter La Fontaine, Hugo, Corneille, Ionesco mais aussi Césaire, Senghor, Maalouf et tant d’autres.
Il est vrai que ce Château possède une importance historique et culturelle considérable. En effet, il est le lieu de signature de l’ordonnance royale de 1539 prise par François Ier qui a fait du français la langue officielle et unique du Royaume, plutôt que le latin. À partir de cette date, tout document, toute administration, toute juridiction a utilisé le français, considéré jusqu’alors comme une langue barbare.
Le français recule à la CEDH
Il faut bien reconnaître que ce château, tout comme cette ordonnance, était sorti de la mémoire collective des Français jusqu’au moment où la volonté présidentielle a su, sinon les ressusciter, du moins, les placer sur le devant de l’actualité.
En réalité, à l’instant où l’on vante l’universalité de la langue, l’on peut s’interroger sur la réalité de son recul, notamment dans le domaine judiciaire international ; à commencer par la Cour européenne des droits de l’Homme dont le français est pourtant, selon l’article 34 du règlement de la Cour, la première langue officielle avant l’anglais. En effet, la Cour a annoncé en 2021 qu’elle abandonnait, pour des raisons de coût budgétaire, la traduction systématique en français de ses communiqués de presse. Par ailleurs, d’aucuns connaissent le caractère aléatoire des traductions en français des décisions de justice mêmes de la CEDH ; pourtant la Cour a son siège à Strasbourg !
En outre, au moment de sa création, le collège du parquet Européen a choisi par une décision du 30 septembre 2020 de ne retenir que l’anglais comme langue de travail. Le français demeurera usité, avec l’anglais, pour les relations avec la Cour (on peut le croire). Or, il faut rappeler que le français est la seule langue de délibéré admise à la Cour de justice de l’Union européenne qui abrite le parquet Européen.
La commission européenne ne travaille plus en français
De surcroît, le rapport de 2023 au Parlement sur la langue française précise que seuls 3,7 % des documents établis par la Commission européenne aujourd’hui le sont originellement en français contre 40 % en 1997. C’est un truisme de rappeler que la Commission européenne a son siège dans un pays francophone…
Certes, ce recul du français dans les instances européennes ne s’est pas opéré dans l’indifférence. En effet, le Conseil national des barreaux a adopté dès le 22 janvier 2021 une motion par laquelle il déplorait la décision du collège du parquet Européen, en effectuant quelques rappels utiles. De même, la question a préoccupé le Sénat qui a interrogé le gouvernement sur le sujet le 21 juillet 2021. La question du sénateur Elsa Schalck visait les mesures concrètes que prendrait le gouvernement pour défendre la place du français dans les institutions européennes, notamment dans la perspective de la présidence française du Conseil de l’Union Européenne en 2022.
Plutôt que le ministre des affaires Étrangères et européennes, c’est la ministre déléguée d’alors ayant en charge la Mémoire et les anciens combattants, qui lui avait répondu, comme si le Français était mort au champ d’honneur…
La ministre avait annoncé au Sénat un renfort de l’offre de cours de français aux fonctionnaires européens et la création d’un groupe de travail, pour formuler des propositions opérationnelles en vue de la présidence française…. L’orientation politique donnée était alors la promotion du plurilinguisme en Europe dont le français, façon détournée, hélas d’avouer sa faiblesse. De surcroît, les 26 recommandations formulées par le groupe Christian Lequesne sont en grande partie restées lettre morte. La présidence française en effet n’a accouché sur ce plan, selon le rapport au Parlement sur la langue française de 2023, que de timides mesures telles la création d’un forum numérique des langues ou le vote de conclusions sur le « renforcement des échanges interculturels dans l’espace européen par la mobilité des artistes et des professionnels de la culture et par le multilinguisme à l’ère du numérique ».
Résignation
En-dehors des institutions européennes, d’autres exemples symboliques de cette résignation, voire de ce consentement à l’effacement progressif sont à mentionner. Ainsi, alors que la France était organisatrice de la coupe du monde de Rugby, la signalisation de l’événement à Paris, les slogans publicitaires et les retransmissions télévisées en France ont laissé une large place à l’anglais.
Devrait-on alors s’inquiéter des prochains Jeux Olympiques dont la France est l’organisatrice et le pays d’accueil ? Il est bon de rappeler que la première langue officielle des JO est, en l’hommage à Pierre de Coubertin, le français et ce depuis 1894!
Le français demain dans les instances européennes ou aux Jeux Olympiques, y compris en France, ne doit pas devenir comme en matière diplomatique une langue formellement officielle en vertu d’un texte désuet mais dont l’usage réel aurait disparu !
Et tandis que l’on parle de plus en plus français dans le monde, il ne faudrait pas que nos responsables politiques mais aussi nos grandes administrations ou entreprises publiques continuent de lancer de mauvais signaux en consentant à l’anglicisation au motif d’une action internationale. Il faut que nos responsables soient, au contraire, heureux d’affirmer leur fierté de partager avec tous les peuples qui le désirent, comme un don, ce trésor qu’est notre langue.
Et ce qui se donne ne constituera jamais un butin de guerre…
Référence : AJU403969