Le goût des nudités provocantes
Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Edition Artistique. Nous poursuivons cet été la description qu’il en fit de Titien et les princes de son temps.
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La correspondance entre Philippe d’Espagne et le Titien, révèle la soumission de l’artiste aux désirs du souverain, et encore la facilité avec laquelle sa dévotion mêlait à des pratiques superstitieuses le goût des nudités provocantes.
« Vénus et Adonis, envoyés à Londres, y arrivèrent quelques jours après le mariage royal, accompagnés d’une lettre de l’artiste qui ne semble indiquer ni de sa part, ni de celle de son client, une intention bien ferme de demander à la peinture des encouragements aux vertus matrimoniales : « Votre Majesté regardera, je l’espère, cette peinture, de cet œil joyeux qu’elle avait naguère l’habitude de tourner vers les œuvres de son serviteur Titien. Comme la Danaé se voyait tout entière par devant, j’ai voulu varier dans ce second poème, et lui faire montrer la partie opposée, afin que le cabinet où elles se doivent tenir soit plus gracieux à la vue. Bientôt je lui enverrai le poème de Persée et Andromède qui offrira une vue différente encore, et de même pour Médée et Jason… » Philippe II trouva, en effet, le tableau superbe, mais constata avec chagrin que la toile, durant le voyage, avait pris un mauvais pli ; il renouvela, plus que jamais, ses minutieuses recommandations au sujet des emballages. L’idée de faire jouer des scènes érotiques à tous les personnages de la fable antique lui souriait d’ailleurs particulièrement ; ce ne furent pas seulement Persée et Andromède, Médée et Jason qui le rejoignirent en Espagne les années suivantes, mais encore Diane avec toutes les nymphes, tantôt découvrant la grossesse de Calisto, tantôt faisant dévorer Actéon par ses chiens, sans compter Europe enlevée par le taureau. Dans toutes ces scènes, où la mythologie n’est qu’un prétexte aux développements les plus variés de la beauté féminine, le vieil artiste déploie une verve d’invention et une science d’exécution qui semblaient sans doute à la piété du roi de suffisantes excuses.
La plupart des lettres, souvent fort longues, adressées par Titien à Philippe II depuis 1545 jusqu’en 1576, pendant trente et un ans, contiennent, avec des annonces d’œuvres faites et des projets d’œuvres nouvelles, des lamentations et des récriminations au sujet de ces malheureuses pensions (non pas pensions, mais passions, dit-il dans l’une d’elles) qu’il parvenait rarement à extorquer des griffes des trésoriers royaux, aussi bien à Milan qu’à Naples. » (À suivre)
Référence : AJU015b1