Le ministre conclut à l’inauthenticité

Publié le 26/08/2024

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication en feuilleton de l’été, consacré au faux en tout genre. Nous poursuivons l’histoire de la tiare, véritable sujet rocambolesque.

Tiare de Saïtapharnès, Wikimedia Commons

« Rouchomovski crut avoir conquis ce Paris que, dans son imagination de Lituanien, il se représentait comme le paradis des arts. À tous les journalistes qui l’interrogeaient fiévreusement sur l’enquête, conduite par M. Clermont-Ganneau dans le plus grand secret, il répondait avec un sourire de dédain : « La tiare ? mais ce n’était pas de l’art, c’était grossier, ce n’était rien… Ah ! si vous voyiez mon sarcophage ! » On la vit cette merveille des merveilles, ce comble de la patience et de la finesse d’exécution. Tout Paris défila au salon des Artistes français, devant la vitrine où elle trônait, tel un diamant de la Couronne.

Hélas ! elle n’avait pas été payée 200 000 francs par des académiciens à habit vert et à décorations multiples. Le gros public se dit – Ce n’est que ça ? Les critiques d’art, plus justes, admirèrent la pa­tience du ciseleur, qui avait creusé, dans un bloc d’argent massif, ce minuscule sarcophage, l’avait décoré sur toutes ses faces de petites scènes en bas-relief : La Course à la mort et les six âges de la vie, et y avait enfermé un imperceptible squelette en or fin, dont on apercevait, en soulevant le couvercle du tombeau, la perfection anatomique irréprochable, les membres articulés et les plus infimes détails observés, jusqu’aux points de suture des fontanelles sur le crâne. Ils y virent le triomphe de l’infiniment petit, quelque chose comme ces tournures d’ivoire qu’on renfermait jadis dans des noisettes. Toutefois, ils y cherchèrent vainement l’imagination artistique et la pensée créatrice. Rouchomovsky resta à leurs yeux un artisan d’une surprenante habileté. Ils lui refusè­rent le titre d’artiste.

Deux mois après, le rapport de M. Clermont-Gan­neau paraissait, tranchant définitivement la question d’authenticité du casque d’or. La tiare cessait d’être à l’ordre du jour, et personne ne s’occupait plus de Rouchomovsky, qui regagna, je pense, la Russie en maudissant l’ingratitude des Parisiens.

C’est le 2 juin 1903 que le ministre de l’Instruction publique et des beaux-arts reçut les conclusions de l’enquête. M. Clermont-Ganneau avait rendu son jugement qui – soit dit sans aucune allusion à M. S. Reinach – n’était pas précisément le jugement de Salomon. L’éminent professeur, en effet, ne partageait pas la tiare en deux : une partie ancienne et un complément moderne. Il concluait à la totale inauthenticité du couvre-chef du tyranneau scythe. C’était l’écrasement définitif des saïtapharnistes. » (À suivre)

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