Le mort saisit le vif

Publié le 18/02/2020

La saisine héréditaire présente ce trait tout à fait original et unique dans le droit civil de permettre à l’héritier saisi d’être considéré par la loi comme un possesseur, et de bénéficier de la protection possessoire, sans avoir jamais possédé antérieurement, sans aucune maîtrise effective actuelle sur la chose, et sans qu’aucune volonté de se comporter comme le propriétaire de l’hérédité ne soit requise.

Il arrive même fréquemment que l’héritier saisi ignore le décès de la personne dont il tient ses droits.

La saisine héréditaire constitue en cela une violation flagrante des règles fondamentales de la possession légale, impliquant corpus et animus.

Le présent ouvrage vise à dépasser l’aporie, et défend l’idée que la saisine originelle, institution pluriséculaire au spectre conceptuel très large, débordant la sphère successorale pour s’étendre à la plupart des rapports de droit privé, a connu un double phénomène de spécialisation et d’occultation en passant dans le Code civil qui l’a consacrée.

Phénomène de spécialisation d’abord, la saisine originelle s’est de facto spécialisée lorsque les concepts abstraits du droit romain de propriété, de possession, de iures in re aliena, ont réinvesti la pensée juridique occidentale. Elle est devenue un droit réel de posséder, dont les deux manifestations ostensibles dans notre droit sont la saisine héréditaire de l’héritier et le « droit à la possession » du créancier gagiste dans le cas d’un constituant du gage non consommateur.

Ce droit réel de posséder, dont le présent ouvrage démontre l’existence en le soumettant à de multiples contre-épreuves, implique la remise en question de la nature moniste de la possession, trop souvent conçue comme un simple état de fait protégé par le droit.

Phénomène d’occultation ensuite, dans la mesure où le Code civil a consacré le transfert de propriété comme un effet légal du contrat de vente, sans avoir approfondi ni abouti, comme a pu le faire le droit allemand, la mécanique du transfert. Par la consécration du transfert de propriété solo consensu, le Code civil a occulté la saisine en tant qu’acte translatif des droits réels, perdant de vue que la nature de l’obligation ne permet à celle-ci de transférer les droits réels que médiatement.

L’occultation de la mécanique duale du transfert par le Code civil a généré de multiples difficultés et controverses, notamment en matière de clause de réserve de propriété et de fiducie, que la saisine conçue comme acte translatif distinct du contrat obligationnel permet de résoudre.

Fort des résultats des recherches et des analyses prédécrites, l’exposé se recentre enfin sur la saisine héréditaire et propose une redéfinition de ses champs d’application ratione materiae et ratione personae.

Frédéric Lalière est docteur en sciences juridiques, licencié en histoire, chargé de cours à la faculté de droit de l’université libre de Bruxelles (ULB), et avocat au barreau de Bruxelles.

LPA 18 Fév. 2020, n° 151r8, p.2

Référence : LPA 18 Fév. 2020, n° 151r8, p.2

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