Le plus beau des songes, celui de Poliphile

Publié le 15/11/2023

Cette illustration a été gravée par le peintre padouan Benedetto Bordon pour l’un des plus beaux incunables jamais imprimés

Librairie JB de Proyart

Nous écrivions, il y a quelques années que tout bibliophile quel qu’il soit proclamera toujours que le chef-d’œuvre absolu du livre du XVe siècle est Le Songe de Poliphile. Un ami libraire nous avait confié que son grand rêve aura été de posséder un exemplaire complet de la première édition, celle d’Alde Manuce, à Venise, en 1499. Il en eut entre les mains deux incomplets. Il a attendu vainement durant vingt ans de quoi les reconstituer. De guerre lasse, il les vendit. Un autre libraire, Jean-Baptiste de Proyart, à la chance insolente, en proposera un exemplaire à la FAB, dans une reliure en maroquin rouge, au décor doré, et triple encadrement de filets avec rosette aux angles, le dos à nerfs très orné et doré de motifs néoclassiques, les tranches dorées signées en 1785 par Nicolas-Denis Derôme (1731-1790), l’un des plus grands relieurs du XVIIIsiècle. Cet exemplaire possède en outre une prestigieuse chaîne de provenance. Il a en effet appartenu à Luigi de Cassano Serra (1747-1825), 4e duc de Cassano, à George John, 2e comte Spencer (1758-1834), Henri Gallice (1854-1931) puis Marcel Jeanson (1885-1942).

Le titre exact de cette œuvre majeure est : Hypnerotomachia Poliphilii, ubi humana omnia non nisi sommium esse doctet atque orbiter plurima scitu sanequam digna commemorat. Ce qui peut se traduire en résumé par « Combat d’amour en songe de Poliphile ». Cette édition originale est illustrée de 172 gravures sur bois, dont 11 à pleines pages, attribuées au peintre de miniatures padouan, Benedetto Bordon. On crut longtemps qu’elles étaient de Giovanni Bellino et même de Mantegna. Ses « arches, temples, vases sculptures, inscriptions, chars de triomphe, correspondaient admirablement aux descriptions de l’auteur, avec en plus une sorte de verve qui donnait au livre entier son brio », dit Martin Lowry, l’auteur d’un essai sur les Aldes. Dans cet exemplaire apparaît une annotation marginale du début du XVIe siècle, face à la gravure représentant Adonis : Nota Adonis Venatore et plus bas Nota. L’exemplaire contient par ailleurs des figures intactes et non maquillées, représentant le « sacrifice à Priape » et celle du « Terme ».

Ce roman ésotérique dans lequel se mêle architecture, mythologies, art du jardin et les sciences, est sorti de l’imagination de Francesco Colonna (1433-1527), un frère dominicain du couvent de San Giovanni e Paolo, qui défraya la chronique des mœurs du temps. Certains se sont demandé quelles réalités charnelles se dissimulaient derrière les fontaines symboliques et les obélisques sublimées de ce roman ? Nous le savons grâce à Matteo Bandello, l’un des rivaux de Boccace, qui dans ses Nouvelles, publiées à Lucques, en 1554, raconta pieusement les méfaits commis par Francesco Colonna.

Le Monde d’Alde Manuce, éd. du Cercle de la librairie, 1989.

Plan