Le portrait de Dorian Gray
Ce soir-là, après une longue suite d’applaudissements, Thomas Le Douarec, metteur en scène incarnant également Lord Henry dans la pièce, a engagé un dialogue avec le public, le félicitant de son écoute toute particulière et rappelant que ce spectacle, après avoir connu le succès au Lucernaire puis au Studio des Champs-Élysées, s’était rapproché de l’auteur et de sa tombe au cimetière du Père-Lachaise en venant s’installer à l’Artistic Théâtre, où il commence une troisième saison.
Pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de le voir, on s’associera aux critiques, toutes excellentes, qui l’ont déjà accompagné. Adapter pour la scène le célèbre roman d’Oscar Wilde n’était pas chose aisée et Thomas Le Dourec a relevé brillamment ce défi, son obsession pour cette œuvre étant telle qu’il en est à sa cinquième adaptation, étant parvenu, croit-il, à faire de l’œuvre une vraie pièce de théâtre.
Éblouissant sujet, sulfureux et baroque en la forme, lumineux et épuré quant au fond puisqu’il s’agit tout simplement d’un hymne à la beauté et à la jeunesse. Trois principaux personnages : le deus ex machina Lord Henry, aristocrate cynique et manipulateur d’une intelligence dévastatrice, Basil Hallward, peintre talentueux auteur du fameux portrait, et Dorian Gray, héros malgré lui d’une descente aux enfers où l’ont entraîné les deux autres, le peintre en donnant un pouvoir magique à son portrait du jeune Narcisse, et Lord Henry en l’entraînant vers la débauche et le crime. L’intrigue s’ordonne autour d’un pacte faustien avec le diable, une singulière trouvaille de l’auteur : Dorian conserve sa jeunesse alors que le portrait vieillit. Certes, la tragédie guette ainsi que la punition… sans le remords évidemment.
L’unique roman d’Oscar Wilde a été publié alors qu’il est au sommet de sa réussite, entre Londres et Paris. Il a écrit des contes, des nouvelles, des essais, il écrira ensuite des comédies. Puis viendra l’affaire Douglas, le procès, la condamnation et enfin, à 46 ans, la mort dans la misère à Paris, logeant dans un hôtel de la rue des Beaux-Arts alors modeste et désormais fort étoilé.
Le dandy irlandais a trouvé dans le Normand Le Douarec – auteur de prouesses parfois provocatrices, comme celle de monter Le Cid en flamenca – un complice à sa hauteur. Adaptation sachant capter l’essentiel, élégance des costumes et décors, mise en scène travaillée en géomètre et horloger avec d’heureuses trouvailles comme celle du spectacle de théâtre dans le théâtre… C’est élégant, léger dans l’exubérance, foisonnant, jamais au premier degré et bigrement efficace.
Son Lord Henry est charnel, truculent, rendant sa perversité presque sympathique et d’autant plus dangereuse. En contraste, le jeu d’Arnaud Denis, maîtrisé, presque à l’économie, montre un Dorian Gray d’une étrange beauté froide et immatérielle, entraîné par la fatalité à une condamnation qui est aussi un triomphe. On n’aura garde d’oublier Maxime de Toledo et Solenn Mariani, eux-mêmes excellents. « Résister à tout sauf à la tentation », selon le précepte d’Oscar Wilde, et voici un spectacle fort tentant.