Le souvenir de son premier protecteur

Publié le 19/08/2022

Paolo Gallo/AdobeStock

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps. BGF

« Dans Bacchus et Ariane, rien n’y manque, ni le brun satyre entortillé de serpents, ni les belles sonneuses de cymbales et de tambourins, ni le satyreau traînant en triomphe la tête de génisse comme un jouet sanglant. Dans l’élan hardi par lequel l’ardent aventurier se jette du haut de son char doré pour saisir la fugitive, quelle vive et pittoresque interprétation du fameux : Te quaerens, Ariadne ! Et quel admirable mouvement de couleurs pour donner tout son prix à ce mouvement surprenant des formes ! Là, comme dans les deux toiles précédentes, retentit pour la première fois, en toute liberté, cette musique savante des colorations expressives, pressentie par les Bellini et essayée par Giorgione, mais qu’aucun d’eux n’avait, avec tant de souplesse et tant de résolution, portée à ce degré inattendu de puissance harmonique et d’irrésistible séduction.

Pour les années qui suivent la livraison des Bacchanales, il y a, dans les archives d’Este, une lacune due à quelque ancienne destruction des pièces. À partir de 1528, la correspondance d’Alphonse et de ses agents, au sujet de Titien, redevient aussi active que par le passé jusqu’à la mort du duc en 1534. Quarante-deux ans après, lors de celle de Titien, on trouva encore dans son atelier une toile dont le sujet allégorique lui avait été donné par Alphonse de Ferrare. Jusqu’au dernier moment le maître illustre avait respectueusement conservé le souvenir de son premier protecteur dont les impatiences et les boutades n’avaient été, après tout, que les manifestations d’un enthousiasme trop passionné, mais qui avait puissamment contribué à le mettre en lumière et à pousser son génie brillant dans ses véritables voies.

Le jeune marquis de Mantoue, Frédéric Gonzague, auquel Titien avait été présenté en 1523, se montra pour le peintre un protecteur non moins chaleureux, mais plus éclairé encore, plus égal et plus doux que le duc de Ferrare. Frédéric, né en 1500, était le fils de cette belle et savante Isabelle d’Este dont la cour avait été, comme celle de sa sœur, la duchesse Élisabeth d’Urbin(o), (1471-1526) le séjour favori des artistes et des lettrés ». (À suivre)

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