L’École de Nancy en trois monuments majeurs
L’Art nouveau et l’École de Nancy s’offrent à nouveau dans la capitale de Meurthe-et-Moselle avec la villa Majorelle, le musée de l’École de Nancy et la brasserie L’Excelsior.
Salle à manger du musée de l’École de Nancy
Qu’est-ce que l’École de Nancy ?
À l’aube du XXe siècle, l’Art nouveau et l’École de Nancy sont les fers de lance d’un renouveau profond des Arts décoratifs et s’inscrivent dans un bien plus large mouvement qui touche toute l’Europe. Volonté de modernité, souci d’un développement industriel et inspiration de la nature sont au cœur de ce mouvement qui rassemble des industriels d’art, des artistes et des architectes souhaitant améliorer le cadre de vie de leur époque par l’emploi de formes et de techniques nouvelles.
Créée en 1901, l’École de Nancy s’apparente à un syndicat artistique dominé par des hommes partageant des idéaux et un sens esthétique communs. Seuls les egos de certains et la peur des copies et contrefaçons de leurs œuvres apportent une ombre à ce mouvement quelque peu utopique. La devise des artistes de cette école est d’enchanter par l’art tous les éléments de la vie quotidienne, même les objets les plus triviaux.
Mais pourquoi à Nancy spécialement ? Nancy est, après le traité d’annexion de Francfort (annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne en 1871) le premier point d’accueil des Alsaciens-Lorrains souhaitant rester Français, ce qui explique l’accroissement rapide de sa population. Refusant de prendre la nationalité allemande, artistes et industriels migrent vers Nancy, transformée en vitrine du savoir-faire hexagonal. L’arrivée d’ouvriers qualifiés dans cette ville-refuge fait évoluer sa transformation, tant architecturalement que socialement parlant. Développement scientifique, progrès industriel, bien-être ouvrier ; Nancy, triste avant 1870, s’anime et devient le berceau de l’Art nouveau.
Parmi les artistes les plus connus et audacieux, on trouve Émile Gallé (1846-1904), qui dirige dès 1883 des ateliers d’ébénisterie, de verrerie et de faïencerie, Antonin Daum (1864-1930), directeur d’une cristallerie à partir de 1891, ou encore les architectes Henri Sauvage (1873-1932) et Eugène Vallin (1856-1922), ainsi que l’ébéniste Louis Majorelle (1859–1926) et le maître des vitraux Jacques Gruber (1870-1936).
Il est intéressant de comparer la villa Majorelle, construite par Henri Sauvage avec ses pièces personnelles et uniques, au musée de l’École de Nancy, qui rassemble des pièces de divers artistes, le plus souvent soucieux de produire à plus grande échelle.
La Villa Majorelle
Joyau de l’Art nouveau, la villa a été commandée en 1898 par Louis Majorelle et érigée en 1901-1902 dans un quartier résidentiel de Nancy sur un terrain de 1 hectare. Elle sera surnommée Jika, en raison des initiales du prénom et nom de son épouse.
L’inédit et la magie de cette maison résident dans le fait qu’elle est une œuvre d’art totale. Escaliers, meubles, lampes, vitraux, bibelots, fresques murales, boutons de porte, gouttières extérieures : rien n’est fait au hasard et chaque détail est en lien avec le courant nouveau. La nature, sa faune et sa flore sont omniprésentes avec force feuilles, pommes de pin, monnaie-du-pape, libellules ou papillons. Inspirées des tiges de plantes et des branches d’arbres, les lignes sont douces et arrondies, les courbes asymétriques : le but étant de donner l’illusion de meubles mouvants, dont les pieds jaillissent du sol comme tous les végétaux.
L’ouvrage est collectif : y participent deux architectes (Sauvage et Weissenburger), un maître-verrier (Gruber), un céramiste (Bigot), des peintres et décorateurs (Jourdain et Royer) et un ébéniste (Majorelle lui-même, qui réalise tout le mobilier, les pièces d’ébénisterie et la ferronnerie d’art). Bombardée en 1916, la maison est néanmoins habitée par Majorelle et sa famille jusqu’en 1926. À sa mort, son fils s’en sépare, car l’Art nouveau est définitivement passé de mode… Vendue à l’État, la Villa accueille divers services administratifs jusqu’en 2017. Aujourd’hui en permanente rénovation, elle accueille le public avec jauge afin de ne pas endommager son précieux patrimoine.
Le musée de l’École de Nancy
C’est Jean-Baptiste Eugène Corbin, industriel propriétaire des Magasins Réunis, mécène et collectionneur, qui offre à la ville en 1935 une très importante collection d’objets de l’École de Nancy. En 1952, il apparaît évident d’acheter la propriété des Corbin pour y exposer ces objets, complétés par la suite par des achats et des dons des héritiers des artistes.
Dans les salles, le mélange éclectique des œuvres de nombreux artistes et l’amoncellement des pièces est tel qu’on peine presque à admirer telle table, tel lit ou tel vase. Les œuvres sont mises en situation pour restituer l’atmosphère d’une époque et essayer de faire entrer le visiteur dans l’intimité d’antan des artistes nancéiens. Mais la tâche n’est pas évidente, tant il y a profusion. Cherchez néanmoins certaines pièces exceptionnelles, comme la chambre à coucher et le piano de Majorelle, la lampe cactus de Daum, le lit et la commode de Gallé, ou la coupe et les peintures de Prouvé.
La brasserie L’Excelsior
En parallèle du rayonnement de l’Art nouveau, la bière prisée par tous coule à flots à Nancy au début du XXe siècle. Les unités brassicoles se multiplient, le savant Louis Pasteur visite même la brasserie Tourtel, où il dévoile le processus de pasteurisation, qui permet alors d’expédier et d’exporter la bière partout dans le monde.
Commandée par la famille de brasseurs Moreau, située à Vézelise en Meurthe-et-Moselle, la brasserie érigée par les architectes Weissenburger et Mienville est baptisée en février 1911. Plongeant le client dans les années Belle époque et les années Folles, elle cumule les deux styles artistiques Art nouveau et Art déco, souvent confondus par le public. À Majorelle, Daum et Gruber on doit les pièces Art nouveau, et à Prouvé l’agrandissement des lieux lors de l’entre-deux-guerres.
Dans les années 1970, un maire peu scrupuleux du patrimoine et en proie à une vague de modernisme entend démolir la brasserie au profit de tours HLM gigantesques. La colère des Nancéiens sauve le bâtiment des bulldozers. Pour préserver ce restaurant cher au cœur de la population de la ville, les façades, les toitures et le décor de la salle principale de la brasserie sont classés monument historique en 1976. Dès 1987, reprise par un industriel et restaurateur alsacien, la brasserie devient un haut lieu de rencontre des épicuriens. Des plaques en laiton immortalisent le nom des célébrités venues se rassasier sous les fresques. Aujourd’hui, les Nancéiens peuvent toujours, sous les volutes et les ors, trinquer autour d’une pinte ou engloutir fruits de mer, choucroutes et sorbets à la mirabelle. Acquise en 2016 par les Brasseries de l’Est, Excelsior n’a rien perdu de sa superbe. Comptez une cinquantaine d’euros pour un repas.
Référence : AJU009i9