L’écume des jours

Publié le 26/06/2017

L’écume des jours au théâtre de la Huchette.

LOT

« L’histoire est entièrement vraie puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre ». Certes, mais rappelons-nous cette période d’un Boris Vian à peine sorti de l’adolescence. Il vit en trio avec Michelle, qui deviendra sa femme, et Jacques Loustalot dit « le major ». Rappelons-nous Boris le matheux qui comble l’ennui de son travail d’ingénieur par des surdoses de jazz, fréquentant les caves de Saint-Germain-des-Prés, jouant de la trompette et commençant à écrire fébrilement. Il épousera Michelle et lui dédiera ce curieux roman. « L’écume des jours » est nourrie des souvenirs du trio. Le petit livre mettra longtemps à connaître le succès. Mais quel succès ensuite avec des adaptations au cinéma, au théâtre, à l’opéra, en bande dessinée et la consécration dans la Pléiade.

D’abord une histoire d’amitié entre Colin, l’héritier fortuné et Chick, l’ingénieur qui gagne moins que ses ouvriers, l’impertinence, la fantaisie, le grain de folie, la complicité « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Ensuite, une histoire d’amour. Le dérèglement avec les femmes. Alise s’éprend de Chick qui a besoin d’argent pour l’épouser mais qui dépense ce qu’il gagne pour acheter tout ce qui concerne le philosophe Jean-Sol Partre, son idole. Quant à Colin, le libertaire voici qu’il tombe amoureux de Chloé. Tout s’enchaîne très vite : l’entracte du bonheur incandescent et fragile de Colin et Chloé, la descente rapide vers les exigences du quotidien exécré, celles de la maladie, celles de la mort. Colin qui a dépensé sa fortune pour ses amis se voit obligé de travailler et même si ses emplois sont surréalistes : faire pousser des fusils, surveiller la réserve d’or, annoncer les malheurs la veille de leur arrivée, le voici pris au piège des responsabilités. Il faut aider Chick, sauver Chloé se ruiner très vite pour eux sans pouvoir arrêter le destin. Chick reste obsédé par son philosophe qu’Alise finira par tuer, la charmante Chloé s’effacera peu à peu avec un nénuphar dans les poumons et Colin n’aura d’autre issue que de mourir de tristesse.

Adapter pour la scène – et de surcroît, celle exigüe du théâtre de La Huchette – ce conte poétique singulier n’était pas chose aisée. La réussite est complète grâce à Paul Edmond qui a adapté le texte, à Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps qui signent la mise en scène et la composition musicale. Ils ont eu la bonne idée de mélanger le récitatif (qui permet de faire intervenir les autres personnages du roman), les dialogues et la musique où le jazz et le Duke occupent une place de choix. Le rythme est enlevé, fébrile avec des ruptures, des dissonances, des improvisations qui collent au langage à la fois sec et foisonnant, familier et surréaliste.

Les trois jeunes comédiens-chanteurs-musiciens Roxane Bret, Maxime Bouteraon et Antoine Paulin sont à l’aise dans ces exercices de haute voltige et l’ensemble ne quitte guère l’exaltation insouciante, l’impertinence, l’hédonisme intello provocateur, avec le zeste obligé de la mélancolie. Brutale, la tragédie n’apparaîtra que brièvement et tout à la fin.

Le spectacle c’est surtout la fête avec du chic, de l’humour, une fête urgente et permanente, un hymne à la jeunesse et à la richesse des vies brèves comme le fut celle de l’auteur.

LPA 26 Juin. 2017, n° 127r5, p.29

Référence : LPA 26 Juin. 2017, n° 127r5, p.29

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