L’Éducation sentimentale au Théâtre de Poche-Montparnasse

Publié le 28/09/2023

Jusqu’au 19 novembre au théâtre de Poche-Montparnasse, L’Éducation sentimentale est revue à la manière d’un conte, d’une farce formidablement jouée par Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps.

Pascal Gély

Après le succès de Madame Bovary (sortie en 1857) grâce auquel Flaubert révolutionne le genre littéraire romanesque de l’époque par des traits plus réalistes, des portraits plus sociopsychologiques, l’auteur ne rencontre pas le même écho médiatique avec L’Éducation sentimentale parue en 1869. En effet, Flaubert essaye là un nouveau style : une fresque historique où il mêle les tribulations du héros aux oscillations politiques du moment (Monarchie de Juillet, révolution de 1848, etc.). L’ouvrage est conçu sur le modèle du Bildungsroman allemand et a également un accent autobiographique : Gustave Flaubert avait rencontré Élisa Schlésinger, la femme d’un éditeur de musique connu, et s’en était amouraché 30 ans plus tôt sur la plage de Trouville. On retrouve les tribulations liées à cet amour dans la personnalité de Marie Arnoux. Malgré un accueil mitigé donc, la postérité retiendra néanmoins L’Éducation sentimentale comme un modèle du genre.

Sous les traits d’un roman historique (accession de Louis-Philippe au trône, Monarchie de Juillet, Révolution de 1848, Philippe d’Orléans, IIe République, coup d’État de 1851, Second Empire) ; le spectateur suit les déambulations amoureuses et politiques de Frédéric Moreau, un jeune paumé dans un siècle en pleine évolution.

À vous de voir si la pièce ne résonne pas fortement avec la situation actuelle !

Les deux acteurs, Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps s’emparent avec fougue de cette fresque sentimentalo-politique et la jouent à 100 à l’heure, et avec humour de surcroît. Survoltés, ils dévoilent les amours boiteuses, les amitiés, les trahisons, les désespoirs et les fulgurants moments de bonheur de notre jeune héros, exclu de toute personnalité et de tout charisme. On dirait aujourd’hui que Frédéric Moreau est un « looser », un incapable d’action qui traverse la révolution de 1848 comme s’il assistait à un spectacle, un perdant qui peine à se choisir un destin parmi toutes les possibilités qui s’offrent à lui ; en deux mots un anti-héros qui se laisse porter par les événements sans interagir.

Malgré cela Frédéric Moreau interpelle. Et s’il incarnait nos propres manquements, nos illusions perdues, nos regrets. À travers lui, nous pourrions nous questionner sur notre propre capacité d’engagement et notre courage !

L’adaptation par Paul Emond interroge sur les similitudes avec notre vie actuelle, l’inertie à laquelle beaucoup se résignent aujourd’hui face aux dangers qui guettent notre société.

Bravo à la performance des deux acteurs metteurs en scène qui jonglent entre des textes adaptés et des sonorités acoustiques et électroniques qui mêlent guitare électrique, accordéon et synthétiseur afin de rendre le spectacle moins mélodramatique.

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