Leonard Weinglass : un avocat contre la justice d’État américaine

Publié le 04/03/2021

L’avocat américain Leonard Weinglass a traversé 53 années de l’histoire judiciaire américaine en participant à des affaires qui l’ont marquée, ayant en commun la défense de luttes sociales menées par des minorités, des défavorisés, des activistes et lanceurs d’alerte. Un demi-siècle de procès politiques faisant le procès de l’Amérique.

Leonard Weinglass : un avocat contre la justice d’État américaine

Collectif des métiers de l’édition

Len : A Lawyer in History, titre de l’ouvrage original de la volumineuse bande dessinée de Seth Tobocman parue chez Ak Press en 2016 avait le mérite de la simplicité et surtout de coller parfaitement à cet outil de la biographie dessinée retraçant la carrière de Leonard Weinglass en se focalisant sur son destin individuel dans l’histoire (américaine). La traduction française de Julien Besse et en particulier le titre choisi (L’Amérique en procès. Léonard Weinglass, un avocat contre la justice d’État) renverse en quelque sorte la perspective plaçant au premier plan le destin d’un pays à travers l’investissement de l’un de ses serviteurs, donnant toutefois l’envergure que mérite cet avocat peu connu du grand public français, dont le nom est pourtant associé à une quantité d’affaires célèbres ayant en commun des luttes sociales portées par des minorités et des activistes combattant la toute-puissance de l’exécutif américain s’exerçant sur le terrain extérieur comme national.

Cette véritable biographie de l’avocat pénaliste américain Leonard Weinglass (1933-2011), dit Len, part de son enfance – et même de l’arrivée de ses grands-parents aux États-Unis et l’installation de ses parents dans une communauté juive du New Jersey – pour arriver à sa mort – consécutive à un cancer du pancréas – mais se focalise essentiellement sur sa carrière. Elle dessine ainsi une autre histoire américaine, à travers des procès emblématiques, mais aussi l’ambition inédite d’un juriste doué refusant une carrière toute tracée pour mieux se consacrer à des causes qu’il soutenait en se définissant lui-même comme « radical », « progressiste » et « anticapitaliste » – estimant le capitalisme incompatible avec la démocratie1.

Passé par les universités de George Washington – grâce à une bourse – et de Yale, il négligea en effet très vite les postes prestigieux et les plus rémunérateurs après avoir fait acquitter un pilote afro-américain devant une cour martiale pendant son service militaire, pour ouvrir un petit cabinet dans un quartier américain pauvre de Newark dans le New Jersey afin d’offrir son expertise juridique aux plus démunis et/ou révoltés pour les défendre contre « la machine étatique ». Les petits délits entraînant de lourdes condamnations ont constitué son combat quotidien qui fut par ailleurs ponctué de causes d’envergure nationale, comme l’abolition de la peine de mort – à travers l’affaire marquante d’un Amérindien qui avait risqué la peine capitale et qui une fois acquitté a fondé une famille et mené une vie rangée –, ou la dénonciation de l’impérialisme américain, et le rappel de grands principes ou concepts comme l’état de nécessité mais aussi les droits de la défense et de manière générale tous les droits fondamentaux énoncés dans la Constitution des États-Unis d’Amérique, mis à mal notamment dans la poursuite de l’objectif de lutte contre le terrorisme.

Ainsi le contexte de la guerre au Vietnam va poser la question du droit à manifester. C’est à l’occasion de la convention démocrate de Chicago en 1968 que des émeutes, en réalité organisées par la police, vont conduire sous l’impulsion du nouveau président Nixon au procès des 7 de Chicago, Leonard Weinglass assurant la défense de quatre d’entre eux. De nombreuses précisions intéressantes viennent s’ajouter au film The Trial of the Chicago 7 d’Aaron Sorkin – qui a fait l’objet de la précédente chronique « Du droit dans les arts »2 – lequel soulignait déjà efficacement le racisme du juge Hoffman privant le huitième accusé, Bobby Seale, personnalité des Black Panthers, de ses droits à la défense, allant jusqu’à le faire rudoyer par les policiers et bâillonner en pleine audience. Seth Tobocman achève ce chapitre de l’album par deux planches d’actualité sur la censure du droit à manifester, évoquant notamment l’interdiction française au lendemain de la Cop 21.

C’est également Weinglass qui va assurer la défense du lanceur d’alerte Daniel Ellsberg, lequel avait révélé des documents secrets prouvant la volonté américaine d’intensifier la guerre au Vietnam. Les Pentagon Papers ont ainsi eu un retentissement aussi grand, même si moins médiatisé, que le Watergate et permirent en outre à l’avocat de dénoncer la corruption des juges.

C’est encore Weinglass qui sera au cœur du procès contre la CIA – qui aurait été son préféré – dénonçant les campagnes de recrutement qui s’étaient déroulées sur les campus universitaires et défendant des étudiants arrêtés – dont Amy, la fille de l’ancien président Carter – en utilisant la notion de nécessité – défense pouvant être invoquée en cas de commission d’un crime pour empêcher un autre plus grave – pour laquelle l’avocat a défini trois critères justifiant son utilisation : menace claire et imminente, atténuation d’un préjudice, absence d’alternative.

L’ouvrage consacre également un chapitre à la lecture que Leonard Weinglass a faite du Patriot Act adopté en 2002, à l’occasion d’une conférence donnée peu de temps avant son décès, en ne reniant aucun de ses idéaux et combats de toute sa vie. L’avocat dénonce ainsi la dérive liberticide conduisant à la multiplication des écoutes, non seulement téléphoniques, mais aussi par l’installation de micros dans des lieux privatifs comme le domicile ou les séances de thérapie d’un couple soupçonné d’espionnage – l’époux syndicaliste, l’épouse avocate au Pentagone – contre lequel aucune preuve n’a finalement pu être apportée…

De son lit d’hôpital, Weinglass plaidera une dernière fois dans l’affaire dite des Cinq de Cuba faisant ainsi le procès du reniement des droits fondamentaux par le gouvernement américain au nom de la lutte contre le terrorisme.

Seth Tobocman est un dessinateur engagé – faisant passer ses messages au fil des pages3 – dont deux albums ont été traduits en français, s’intéressant aux violences policières, aux expulsions consécutives aux spéculations immobilières à Manhattan dans les années Reagan, à la violence d’État et la lutte contre l’arbitraire4. Si son graphisme peut surprendre dans un premier temps, la mise en page est tellement « ingénieuse »5 – comme l’a déjà souligné très justement Jean-Baptiste Thierry – insérant le texte dans les motifs et rendant ainsi le concept de bulles totalement désuet, que le plaisir de lecture est en réalité démultiplié.

L’album se lit comme un roman, avec l’avidité particulière que peut susciter le genre de la bande dessinée, et s’il comble une lacune éditoriale – il n’existe aucune biographie de ce grand avocat – au terme d’une vraie recherche scientifique et de terrain – archives judiciaires et familiales – qui a abouti au bout de 5 ans à sa publication, il intéressera probablement surtout les juristes et les passionnés d’histoire américaine.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Autant de qualificatifs énoncés par Weinglass lui-même dans différents entretiens, cités notamment par Michael Steven Smith dans son introduction à l’album.
  • 2.
    E. Saulnier-Cassia, « L’affaire des 7 de Chicago : un film de procès sur fond de violence policière et d’élections présidentielles américaines », LPA 11 févr. 2021, p. 18.
  • 3.
    Il achève ainsi le chapitre sur le Patriot Act par : « S’il est important de saisir ces nouvelles menaces, elles ne doivent en rien entamer notre opposition aux politiques de ce gouvernement ; l’histoire nous montre qu’une vive résistance constitue la meilleure défense ».
  • 4.
    S. Tobocman, Quartier en guerre, 2017, CMDE, et Le visage de la lutte. Une allégorie sans parole, 2020, CMDE.
  • 5.
    AJ pénal 2021, p. 4, note J.-B. Thierry.
LPA 04 Mar. 2021, n° 159x2, p.22

Référence : LPA 04 Mar. 2021, n° 159x2, p.22

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