Leonore, la version originelle de Fidelio

Publié le 03/03/2020

Leonore, la version originelle de Fidelio

Harmonia Mundi

La version habituelle de Fidelio est peu le reflet des volontés premières de Beethoven pour son opéra titré Leonore. Celui qu’on connaît en deux actes, en comptait à l’origine trois. Les entendre restitués dans leur saveur originelle, conduit à découvrir presque une œuvre nouvelle. Et à s’approcher au plus près du drame tel que conçu par le français Jean-Nicolas Bouilly, Léonore, ou l’Amour conjugal, dont s’est directement inspiré le librettiste Sonnleithner. Le découpage en trois actes, qui dédouble l’acte I de la version ultime, centre chacun d’eux sur un personnage : Marzelline au Ier, Leonore au IIe et Florestan au IIIe. La partie Singspiel, dont relève tout le début de l’œuvre, se conçoit plus aisément dès lors qu’elle est détachée du reste du drame. Ce qui a toujours paru une faiblesse dans Fidelio est compensé par cette nette séparation. Par rapport à Fidelio, on découvre des passages ici plus développés, comme le trio entre Rocco, Jaquino et Marzelline au Ier acte. Et surtout, le grand air de Leonore, précédé, cette fois, d’un monologue parlé, le premier couplet débutant dans une atmosphère de souffrance pour amorcer une progression bien différente de ce qu’il en est de la version ultime. La vocalité diverge aussi par une ornementation plus riche que celle que connaît l’air « Abscheulicher ! » de Fidelio : une évocation plus expressive du tourment du personnage. L’air de Florestan, qui ouvre le IIIe, se refuse ici à l’héroïsme, les premières paroles délivrées piano, comme sorties du néant, et le discours s’animant peu à peu : une agitation contenue « plus conforme à la vérité du caractère et à son énergie que l’hallucination un peu factice qui leur a été substituée dans Fidelio », comme le relève Romain Rolland. Mais la modification la plus substantielle apparaît à la fin de l’opéra. Dans cette première mouture, le story telling est différent : si Pizzaro s’esquive, suivi par Rocco, il est rattrapé par le chœur du peuple se rapprochant du cachot en criant vengeance, et est alors arrêté. Rocco peut s’expliquer sur sa conduite vis-à-vis de Leonore et clamer sa bonne foi. La tension est maintenue jusqu’au bout dans le vaste ensemble concertant avant que la péroraison laisse éclater une formidable joie. La dramaturgie de cette dernière scène tranche avec celle, convenue, de Fidelio.

La direction de René Jacobs éclaire aussi d’un jour nouveau la partition. Des tempos plutôt vifs, parfois à la limite d’une articulation extrême, confèrent au discours une vie étonnante et un élan presque révolutionnaire. Le poids de la tragédie, on le perçoit constamment car Jacobs n’a pas son pareil pour créer un climat d’angoisse tragique. Ainsi du début de l’acte III, où sont soulignés les accords de cuivres de l’introduction, dans une approche digne de pages de Gluck ou des opéras de l’époque révolutionnaire. Non que cette approche soit dénuée de nuances, rendant justice à une émotion pudique, à l’art de la demi-teinte et aux clairs-obscurs de bien des traits. On en a un exemple avec l’Ouverture. Celle dite « Leonore II », choisie ici, anticipe véritablement le drame dans tous ses rebondissements. Avec le Freiburger Barockorchester, il dispose d’une phalange dont le jeu sur instruments d’époque apporte un supplément d’authenticité.

La distribution se signale par le souci de privilégier des voix pas trop puissantes. Marlis Petersen prête à Leonore les prestiges d’un soprano proche du gabarit mozartien. Ce qui ne messied pas, tant le rôle est ici plus orné que dans Fidelio, pas moins tendu cependant. Il en va de même du Florestan de Maximillian Schmitt paré d’extrêmes nuances et d’un ténor assuré. Le Rocco de Dimitry Ivashchenko offre une basse chantante, relativement claire, et le personnage est délesté de sa bonhomie de façade. Tout comme le Pizzaro, Johannes Weisser, est froidement menaçant, sans sombrer dans le travers du « traître de théâtre ». L’engagement des chœurs de la Sing-Akademie de Zürich ajoute à l’aura de cette exécution.

LPA 03 Mar. 2020, n° 152b1, p.20

Référence : LPA 03 Mar. 2020, n° 152b1, p.20

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