Les Années folles sur la Croisette
Erato
Les Années folles, c’est l’éclosion de l’opérette. C’est aussi « le début d’un certain rêve de Riviera », souligne le chef Benjamin Levy, car il existe une vraie « adaptation du répertoire léger de cette époque avec cet endroit ». L’album, enregistré justement à Cannes avec son Orchestre, nous fait humer les parfums pas si surannés de musiques pétillantes. Benjamin Levy ajoute que le dessein est « de retrouver la manière dont on chantait ces airs et ensembles ». Ces musiques ont en effet bien souvent été dénaturées par des exécutions médiocres ou des arrangements insipides. Ce qui faisait fi de leur véritable sens, notamment en termes de dynamique, de phrasé, ou plus simplement de leur vrai caractère de musique légère. Il n’est pourtant pas étonnant que des musiciens rompus au symphonique se soient confiés à ce genre, comme André Messager ou Reynaldo Hahn. Il y a dans ces œuvres à la fois la tendresse amusée du regard en arrière et la vigueur du geste prospectif vers un souffle nouveau.
Les festivités s’ouvrent avec l’Ouverture de Gosse de riches, titre peu connu de Maurice Yvain, truffée de rythmes de Charleston. On sera par la suite conquis par d’autres morceaux de ce type, telle l’Ouverture de Pas sur la bouche du même auteur, on ne peut plus endiablée, relevée d’un développement très lyrique avec ralantando à la Johann Strauss. Ou encore de Dédé de Christiné, qui s’emballe dans une marche décidée ou se complaît de moments de suavité exquise. Bien sûr, le plat de résistance on le trouve dans les airs, suffisamment variés pour maintenir l’attention. Ainsi de celui de Viviane de Toi c’est moi de Moretti « C’est çà la vie, c’est çà l’amour », façon un peu jazzy mais avec goût. Ou de ce morceau tiré d’Un soir de réveillon, « Quand on est vraiment amoureux », un brin canaille. Encore plus loufoque, l’air d’Hégésippe des Trois jeunes filles nues de Moretti, où Laurent Naouri est proprement impayable et pourtant d’un excès parfaitement contrôlé, au fil de strophes bien cocasses où il prend l’accent. Il montre pareil bagout dans celui de Patarin, emprunté à Gosse de riche d’Yvain, « Quand on est chic ! » qui à travers ses répétitions cocasses, libère de lestes insinuations. Sa collègue Patricia Petibon n’est pas en reste, qui sait se faire gouailleuse dans les « couplets d’Aspasie » de Phi-Phi, imitation du premier air de la Manon de Massenet (« Je suis encore toute étourdie »), alliant charme appuyé et style déjanté.
On se prend à rire avec les ensembles, là où nos compositeurs, et les présents musiciens, redoublent de fantaisie. En commençant par les duos, tel celui fameux de Ciboulette de Hahn, « Nous avons fait un beau voyage », récit émerveillé un brin naïf de deux amants bien sympathiques. Ou le « Duo du roulis » de Coups de roulis de Messager « Qu’ai-je donc ! Je suis comme grise », où les affres du mal de mer se muent insensiblement en l’éperdu d’un échange amoureux qu’on sent irrémédiable. Le duo « Sous les Palétuviers » de l’opérette de Moïse Simon Toi c’est moi, versus Petibon & Naouri, est leste et « chaud » sur un rythme fou à en perdre ses mots chez la dame et bien concupiscent de la part du monsieur. Pour ce qui est des trios, celui de Ô mon bel inconnu de Hahn, sur un texte de Sacha Guitry, débuté par un solo de clarinette, rejoint par le violon I, aligne trois voix de femmes sur un rythme de presque barcarolle.
Tout cela est fort divertissant et redonne à cette musique sa vraie saveur dans un style alerte avec ce brin de folie contrôlée qui sied à une exécution élégante. C’est peu dire que les chanteurs sont dedans, dont encore les sopranos Amel Brahim-Djelloul au timbre ensoleillé et Marion Tassou de ton enjôleur, le ténor Philippe Talbot, la mezzo Pauline Sabatier. Côté orchestre, Benjamin Levy privilégie une approche mesurée mais non dénuée de brio, ne cherchant pas la facilité, tout en se gardant du trivial. Les musiciens de l’Orchestre national de Cannes distillent les savoureux effluves de ces pages combien rafraîchissantes.
« Croisette »
Ouvertures et extraits d’opérettes de Maurice Yvain, Henri Christiné, Reynaldo Hahn, Raoul Moretti, Moïse Simon, André Messager
Patricia Petibon, Amel Brahim-Djelloul, Marion Tassou, sopranos, Pauline Sabatier, mezzo-soprano, Laurent Naouri, Guillaume Andrieux, barytons, Philippe Talbot, Rémy Mathieu, ténors
Orchestre National de Cannes, dir. Benjamin Levy
1CD Erato
Référence : AJU007a8