Les Boréades, ultime opéra de Rameau

Publié le 30/01/2025

Pochette du disque Les Boréades

Erato

Achevée en 1763, la tragédie lyrique de Rameau Les Boréades n’a pas connu de création officielle. Son sujet qualifié de presque subversif ne pouvait être que rejeté par la censure. La trame, conçue par Louis de Cahusac, ne proclame en effet rien moins qu’un appel à la liberté. Une audace qui se concrétise dans cette histoire où une femme, la reine Alphise, courtisée par trois hommes, entend bien choisir celui qu’il lui plaira d’aimer, fût-ce au prix du renoncement au trône. Et celui qu’elle choisit, Abaris, est un homme d’ascendance inconnue, alors que les deux prétendants naturels, Calisis et Borilée, peuvent se targuer de leur appartenance à la lignée officielle de Borée, le dieu du vent. Cette marque d’indépendance provoque la colère de celui-ci, qui la voue aux pires châtiments. Une flèche d’or, remise par l’Amour, permet à Abaris de délivrer Alphise. Apollon révèle alors qu’Abaris est le fils qu’il a eu d’une nymphe de la lignée de Borée, autorisant l’union souhaitée de deux cœurs enamourés.

Deux éléments caractérisent cet opéra : d’une part, le côté descriptif de la musique dont les passages de tempêtes en font une des données majeures. Ainsi du fameux « Orage, tonnerre et tremblement de terre » qui clôt l’acte III et amorce le quatrième avec l’entr’acte « Suite des Vents », dans un continuum d’une rare puissance évocatrice. D’autre part, la place essentielle occupée par les divertissements dansés, parfaitement intégrés à l’action. Ils répondent à l’esprit du merveilleux ou à une donnée dramaturgique. Le langage musical de l’ultime opéra de Rameau est aussi en avance sur son temps par l’audace des harmonies et une utilisation à la fois des récitatifs simples et des récitatifs accompagnés, ces derniers tels des morceaux à part entière, et non comme des préludes aux airs.

La présente version CD doit son prestige d’abord à la direction de György Vashegyi utilisant la nouvelle édition de l’œuvre, fruit des dernières recherches musicologiques réinterrogeant les pratiques d’interprétation. On en admire l’engagement, la respiration naturelle, notamment dans les passages dansés : gavottes joyeuses, rigaudons enlevés, menuets graciles, agiles contredanses. Le souci des contrastes se retrouve dans l’art de bâtir les moments cataclysmiques, tel l’orage, mêlant orchestre déchaîné, solistes et chœurs affolés. La justesse des accents rejoint l’attention portée au rythme, l’authenticité du style la sûreté de ton. L’Orfeo Orchestra, rompu au langage ramiste, brille par ses coloris instrumentaux, des bois en particulier et des volubiles percussions. La distribution possède cette suprême qualité de naturel, au plus près des inflexions de la prosodie, quant au sens inné du phrasé, délicat sans être précieux, comme à l’aisance dans les ornementations. Les accents généreux de Reinoud van Mechelen dessinent d’Abaris la figure de l’anti-héros criant son malheur à en perdre haleine, puis se posant en rempart contre la toute-puissance de l’ordre établi, avant de célébrer la victoire amoureuse. Sabine Devieilhe apporte au personnage d’Alphise les prestiges d’un soprano radieux et une vaillance résolue, au soutien de l’intensité dramatique. Les deux princes prétendants Calisis et Borilée rivalisent d’ardeur : clarté d’émission et belle projection du ténor Benedikt Kristjánsson, baryton agile de Philippe Estèphe. De sa voix de basse sonore, Thomas Dolié confère l’autorité caractérisant le dieu Borée, comme Tassis Christoyannis sa force expressive et sa souveraine articulation au grand prêtre Adamas. Le Purcell Choir offre pareille éminente prestation quant à la justesse des intonations et à la rectitude de la diction.

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