Les classiques de la littérature aux lundis du théâtre de poche Montparnasse
Le Poche Montparnasse
Le lundi est, en principe, jour de relâche pour les théâtres, sauf pour le Poche Montparnasse qui y programme des spectacles distincts de ceux de la semaine. On peut actuellement y rencontrer des géants de notre littérature, d’abord Jean Racine, puis Victor Hugo.
Jean Racine : Judith prend Racine
La lecture des alexandrins raciniens est faite par un personnage hors du commun, Judith Magre. Sa carrière est éblouissante, en toute liberté, des grandes scènes avec Jean Vilar ou la Compagnie Renaud-Barrault aux salles intimistes comme ce « poche », sa seconde maison, depuis sa reprise par Philippe Tesson en 2011. Elle y a enchainé des créations toujours singulières et renoue ici avec les héroïnes raciniennes qu’elle connait bien, faisant sortir de nos mémoires les tirades les plus célèbres du répertoire. La voix n’a rien perdu de sa force, la star reste impériale qui fêtera ses 98 ans le mois prochain. Cinq tragédies ont été choisies : Andromaque, Britannicus, Bérénice, Phèdre et Athalie, la seule pièce qu’elle n’ait pas jouée, mais dont elle n’a pas oublié le Songe, qu’elle avait appris par cœur à sept ans. C’est une lecture intimiste, sans recherche d’effet, un écrin pour la simplicité et la musicalité des vers. Cette lecture est entrecoupée par un récit d’Olivier Barrot qui fait revivre la création des pièces et la carrière de Racine, son ambition, ses amitiés, la faveur dont Louis XIV le comblait, ses relations avec Corneille, son aîné de 20 ans, et enfin Port Royal. Le texte est subtil, élégant, malicieux, une pédagogie en forme de conte, un modèle pour les professeurs des collèges. La complicité est évidente et il se dit que le duo envisage de se retrouver avec cette fois-ci un autre géant : Baudelaire.
Victor Hugo : L’homme qui rit
À 21 heures, on peut enchainer avec une autre performance, celle de transmettre au public durant une heure en les « réduisant à l’os » les 800 pages et la complexité d’un des romans les plus complexes de Victor Hugo, L’homme qui rit, écrit en exil à Bruxelles entre 1866 et 1868. Roman philosophique trop foisonnant, trop chargé d’allégories et de « dissertations abominables » (selon la critique sévère de Barbey d’Aurevilly), il sera un échec à sa sortie, ces mêmes caractères expliquant sa modernité et l’admiration dont il jouira par la suite. « J’ai voulu forcer le lecteur à penser à chaque ligne. De là une sorte de colère du public contre moi », dira Hugo. Geneviève de Kermabon a relevé le pari de « réduire à l’os » ce foisonnement incandescent en résumant avec sobriété la folle épopée du héros Gwynplaine d’abord jeune enfant vendu à des comprachicos et recueilli, ainsi que Dea, un bébé aveugle, par un saltimbanque au grand cœur, Ursus, qui vit avec son alter ego, Homo, un loup domestique. Gwynplaine, en réalité fils et héritier d’un Lord puissant sera, sur ordre du roi, défiguré, une balafre d’une oreille à l’autre donnant à son visage un éternel sourire.
S’entremêlent ensuite une suite d’événements : côté jardin Ursus et le succès du spectacle dont le monstre Gwyplaine est la vedette et côté cour les intrigues du pouvoir, celles du Roi contre le jeune héritier, celles de la reine jalouse de sa sœur Josiane et celle des puissants oisifs et cruels à l’égard des pauvres trop soumis. Le « j’accuse » de Hugo s’exprime dans le discours de Gwynplaine à la Chambre des lords où il ne siègera qu’une seule fois : « Silence, pairs d’Angleterre ! Oh ! puisque vous êtes puissants, soyez fraternels ; puisque vous êtes grands, soyez doux. Si vous saviez ce que j’ai vu ! Hélas ! en bas, quel tourment ! Le genre humain est au cachot ». Et si l’amour chaste avec la belle Dea, qui ne peut voir de lui que la beauté de son âme, triomphera, ce sera dans la mort.
Formée à la rue Blanche et à l’école du cirque Gruss, Geneviève de Kermabon, d’abord acrobate et trapéziste, a touché à toutes les formes du spectacle. Elle a notamment adapté La Strada et Freaks, travaillé avec Jérôme Savary et, tout récemment, elle a monté Céleste, où elle incarne une artiste de piste confrontée au cirque traditionnel et au « nouveau » cirque. Seule en scène, frêle, menue, tout en souplesse, chevelure rousse flamboyante, elle donne au texte une passion incandescente, alternant le récit des événements avec sobriété, ce qui contraste avec son interprétation en tension de chaque personnage. Voltige, équilibre… le cirque de la condition humaine.
Référence : AJU016e9