Les couleurs de Ravel à l’Opéra
Daphnis et Chloé.
Little Shao / Opéra national de Paris
Une soirée, 71 minutes, pour découvrir ou redécouvrir deux œuvres de Maurice Ravel, dans deux chorégraphies, habitées, par les danseurs de l’Opéra de Paris. Voilà le spectacle qui se tient actuellement à guichet fermé à l’Opéra Bastille…
Sur l’affiche, deux noms : Benjamin Millepied et Maurice Béjart, pour un même programme autour de deux œuvres de Ravel !
Cette simple annonce a fait se déplacer en masse les férus de danse et les néophytes.
En effet, Benjamin Millepied, l’éphémère directeur de l’Opéra national de Paris, qui a tenté de moderniser l’institution et qui a jeté l’éponge après quelques mois à sa tête, était de retour à Paris avec une création qu’il avait donné pour les danseurs de l’Opéra en mai 2014, Daphnis et Chloé. Accoler à cette œuvre peu connue du grand public, le titre le plus connu de Ravel, mais aussi peut-être de toute la création musicale du siècle dernier, le Boléro, dans la chorégraphie de Maurice Béjart, était une gageure relevée avec maestria par les danseurs de l’Opéra…
Un réel moment de grâce et d’émotion plonge la salle dans une communion magique.
Dans la première partie, le ballet Daphnis et Chloé s’ouvre dans les décors de Daniel Buren. Un rideau joue avec les yeux des spectateurs, il ne s’agit pas d’un simple rideau rayé de bandes noires (signature de Daniel Buren !), non, c’est un élément du décor qui a pour volonté de transporter le spectateur dans une féérie, dans un jardin où des formes de couleurs montent et descendent, et ce afin « d’imaginer un environnement visuel qui soit en harmonie avec les sons », tels sont les mots de Daniel Buren sur sa scénographie.
Nous avons parfois le sentiment de nous retrouver dans un univers hitchcockien, dans Vertigo plus exactement, ou d’entendre une œuvre de Bernstein qui conduirait l’orchestre de l’Opéra de Paris ; pourtant il s’agit bien de l’œuvre de Maurice Ravel et de ce qu’il a nommé sa « symphonie chorégraphique ».
La chorégraphie se joue entre les danseurs et le décor…
S’il souhaite laisser libre de toute interprétation le spectateur, Daniel Buren l’avoue son « ambition n’est pas tant de créer un décor, mais bien de tenter une chorégraphie de formes, de couleurs, de lumières, entrainées dans un mouvement continuel et spécifique, séparée du ballet proprement dit, mais dans la volonté d’une harmonie la plus juste » !
Et l’harmonie est là, présente sur scène, avec ces danseurs qui jouent avec une telle facilité, ils semblent libres, détachés de toutes contraintes physiques, les déplacements sont rapides, aériens, et si tous les danseurs maîtrisent la partition, c’est François Alu, dans le rôle de Bryaxis, qui est acclamé. Sa prestation, tout en maîtrise mais dans une virilité affirmée nous subjugue.
Comment rebondir après ce premier ballet, plein de joie, d’allégresse et si coloré…
Après les amours de Daphnis et Chloé, place à l’émotion pure… une musique, un thème universel, le Boléro, le rouge et le noir…
Comme un souffle, une incantation, le Boléro et ses 16 minutes d’une intense fébrilité, dans un silence absolu, laisse place à une interprétation magistrale par le danseur étoile, Mathias Heymann.
Comme une transe hypnotique, le danseur, torse nu, évolue sur une table rouge en hauteur dans la même mise en scène que la version masculine donnée par Jorge Donn et popularisé par le film de Claude Lelouch dans Les Uns et les autres.
Si chaque Boléro appartient intimement à son interprète, on ne peut que remercier et applaudir Mathias Heymann pour ce don de soi. Entouré de 40 danseurs masculins, la prestation toute en sensuelle virilité nous conforte dans l’idée que Ravel a su créer un hymne universel et Béjart offrir au danseur qui se l’approprie un écrin dans lequel il brillera à tout jamais.