Les délices d’Aburi

Publié le 22/03/2018

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À quoi peut bien rêver un jeune homme de 28 ans quand il débarque dans le petit port de Minamigasaki sur l’île d’Aburi…

Ryôsuke est un jeune homme qui souffre. Il tente de refaire surface après une tentative de suicide et l’offre d’emploi qui le mène à Aburi est pour lui une chance de reprendre goût à la vie et surtout de rencontrer un homme qui a bien connu son père.

Mais « ce qu’il avait sous les yeux était à des lieues de l’image qu’il s’était faite d’Aburi. Les pentes étaient trop escarpées, les arêtes trop vives. Des pitons rocheux pointaient çà et là, rivalisant vers le sommet qui les surplombait. En dépit de la verdure qui s’y accrochait, la moitié des parois restait à nu. La falaise tombait à pic jusqu’aux brisants fouettés par les vagues » (p.29).

Ce paysage hostile va pourtant se révéler être un merveilleux terrain de jeux pour Ryôsuke et ses amis, Kaoru et Tachikawa.

Ces trois jeunes en perdition vont se découvrir et redécouvrir leur être profond.

Durian Sukegawa, dont nous avions adoré Les délices de Tokyo, nous offre dans Le rêve de Ryôsuke un roman empli de poésie et d’espoirs, mais aussi un questionnement sur le sens de la filiation et sur la difficulté d’exister en trouvant sa propre voie, sans réaliser les rêves d’autrui… tout en instillant une réelle réflexion sur les us et coutumes de certaines régions et sur le prix de la vie humaine comme animale. Il répond ainsi à un questionnement qui se fait de plus en plus grand dans nos sociétés.

Dans ce paysage quasi fantasmagorique, où l’on s’attend plus à croiser King Kong que des chèvres sauvages, comment par le truchement de ces chèvres, Ryôsuke va-t-il se mettre à parler, à s’exprimer et à s’ouvrir aux autres en leur proposant de réaliser des fromages de chèvres ?

Cette douce rêverie va se révéler bien plus compliquée que l’on pourrait l’imaginer, car s’il faut déjà trouver les chèvres laitières sur l’île, réussir l’affinage, il faut encore plus se battre contre les préjugés des hommes et les tabous locaux.

Alors que la langue japonaise offre plus de 50 appellations différentes pour décrire la pluie, on ne peut être qu’émerveillé par la richesse et le lyrisme de ce livre où tous les éléments, l’eau, le soleil, la mer, la forêt, le lait, l’alcool se mêlent pour donner vie à ce songe qui vacille entre le cauchemar et l’hallucination. Et d’assister à un réel réveil à la vie, où lorsqu’un petit boulot accepté pour fuir l’univers étouffant de Tokyo mène ces amis à se confronter à une population dure et empreinte de préjugés, mais qui les renforcera dans leurs choix et dans leur amitié.

« Le paysage est hostile, mais l’île a plein de bons côtés » (p. 30), assène le contremaître aux trois jeunes, au début du roman. On a bien du mal à y croire ; et pourtant laissons-nous guider par Ryôsuke et ses rêves de fromages dans cette forêt primaire de banians, à travers les cavernes de l’île ou encore en mer où les noctiluques scintillent. Et face à cette étrange île, laissons-nous porter par la douce litanie des mots là où « le sillage du bateau brillait de la flamme pâle d’une myriade d’existences ».

LPA 22 Mar. 2018, n° 134u7, p.16

Référence : LPA 22 Mar. 2018, n° 134u7, p.16

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