Les jardins de Grivko à Étretat et le potager du Grand Daubeuf à Daubeuf-Serville

Publié le 13/07/2018

Partons à la découverte de deux lieux méconnus et atypiques pour une visite hors des clichés habituels en Seine-Maritime, les jardins d’Alexandre Grivko et le potager du domaine de Daubeuf.

Les Jardins d’Étretat

« Si j’avais à montrer la mer à un ami pour la première fois, c’est Étretat que je choisirais » : ce sont en ces termes que s’exprimait Alphonse Karr pour parler de celle dont il contribua à la renommée. Si vous aimez la littérature, les romans de Karr ainsi que les livres de Guy de Maupassant et de Maurice Leblanc, qui vous transportent au pied des falaises au même titre que la musique d’Offenbach alors nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir Étretat. De même, le village de pêcheurs d’antan peut vous être familier grâce aux toiles de Claude Monet (98 toiles de l’impressionniste de vues d’Étretat ont été répertoriées par Daniel Wildenstein), des peintures de Courbet et/ou de Boudin. Mais avant toute chose, Étretat évoque sûrement pour vous les sublimes falaises que plus d’un million de personnes viennent voir du monde entier. Grande et petite arche, aiguille et jeux de lumière, galets sombres adoucis par le roulis des vagues, jeux de lumière changeant au gré des saisons : tout a été dit, écrit sur la beauté de ce site national classé, son caractère unique en tant que patrimoine naturel.

Les Jardins.

Dimitry Livshits

Sortez donc des sentiers battus et allez voir les jardins architecturés du paysagiste russe Alexandre Grivko.

Très en hauteur sur la falaise avec une vue imprenable sur la falaise et l’Aiguille d’Étretat ; sublimes par les travaux de l’origine, puis d’entretien et de coupe nécessaires au quotidien ; bluffant par la diversité des formes et la recherche du bien-être voire de la spiritualité qu’ils engendrent ; inédits par l’association art et paysage comme des pièces d’art contemporain ; ces jardins sont à part de toute classification. Ni labyrinthe, ni parterre de buis comme Marqueyssac, ni espaces rocailleux comme les jardins japonais, ni musée d’art contemporain au service de la botanique ; ces jardins sont autres car ils sont atypiques et révélateurs d’un exceptionnel travail et d’une débordante créativité.

En quelques années, Alexandre Grivko, le dandy bohême moscovite, est devenu l’un des noms les plus célèbres du microcosme du jardin et son cabinet d’architecture paysagère Il Nature est appelé dans le monde entier par des lieux prestigieux tels que Courances, Chatsworth, Barvikha et il travaille pour divers oligarques russes fortunés…

Sans une pointe d’arrogance, Grivko dit de lui-même : « Je suis un simple jardinier » ! Est-ce parce qu’il crée des mondes miniatures, alors que les architectes du jardin travaillent plutôt sur la grandeur ? Toujours est-il que créer en deux ans à peine un tel jardin est une prouesse technique : sur un hectare, apporter 1 000 tonnes de terre, créer près de 2 km de sentier en petit gravier et surtout planter 100 000 pieds de variétés persistantes adultes pour pouvoir les tailler, les modeler au gré de ses envies et de ses fantasmes est une folie qu’Alexandre Grivko a concrétisée et réussie.

Les houx se mêlent aux phillyrea angustifolia en une succession de coquillages, de vagues plus ou moins houleuses qui semblent être le naturel prolongement de la Manche en contrebas. Les tailles sont douces et arrondies rappelant le mouvement des lointaines vagues ; plus loin, les ondulations des arbustes évoquent des formes de champignons, élément de terre par excellence.

Les œuvres de divers artistes contemporains restent de manière pérenne et apportent au jardin un regard autre sur l’art, le monde, tout en étant toujours des pièces qui font écho à l’univers marin environnant. Une dizaine de Gouttes de pluie de l’Espagnol Samuel Salcedo sont autant de têtes d’hommes révélant ses expressions ; l’Allemand Thomas Rösler a posé ses imposantes sculptures en bois au gré d’une allée ; la conque de la Russe Elena Kogan émerge des boules végétales ; plus loin les personnages sculptés en bois de vigne des artistes polonais Wiktor Szostalo et Agnieska Gradnik étreignent le dernier arbre sur terre en un ultime appel à nous souvenir de la nécessaire préservation de l’environnement…

Bien que très récemment implanté, cet oasis végétal au cœur d’une terre brute de silex semble être là depuis toujours. Au-delà de son esthétisme propre, il apporte un supplément à la beauté abrupte des falaises : de la douceur, de l’harmonie, de la sérénité, du bonheur dans un monde qui en a tant besoin.

Le potager de Daubeuf

Direction le pays de Caux, où un potager a été recréé en 3 ans de travail, dans une superbe propriété historique du XVIIe siècle et dont le bâti va être restauré les dix prochaines années.

Au bout de la grande allée, sous les divers échafaudages se dresse le château de style Louis XIII attribué à François Mansart et flanqué de deux pavillons, les écuries en demi-lune. La propriété qui fut celle des Pomereu d’Aligre n’est plus que l’ombre d’elle-même : inhabitée pendant près de 4 décennies, rongée par la mérule, dévastée de tout son mobilier… Plusieurs merveilles architecturales totalement abandonnées, un patrimoine familial honteusement dispersé et bafoué.

Dimitry Livshits

On ne peut qu’admirer la volonté farouche et l’énergie tant morale que matérielle fournies par le repreneur de ce chef d’œuvre en péril ; ainsi que le travail de fourmi des actuelles équipes de restauration du bâti et du végétal.

À la tête de cet immense chantier, Guillaume Baschet-Sueur (paysagiste diplômé de l’École de Versailles et formé par des sommités telles que Louis Benech, Mark Brown et Clotilde Duvoux), qui a composé de A à Z le potager sur des plans très classiques en une alternance de carrés (tous les légumes), de cercles et de bassins, de formes verticales avec des fleurs grimpant sur des tuteurs, de formes horizontales avec les charmilles délimitant les allées. De manière étonnante, une butte de comblement occulte un potentiel quatrième carré et le potager d’un hectare environ se compose au final de 3 carrés de 96 compartiments où fleurs, arbres fruitiers, aromatiques et légumes poussent sans aucun traitement chimique.

Le travail d’élaboration et sa réussite extrêmement rapide a permis au potager de remporter le prix Villandry en 2015.

Avec le concours d’hommes tels que Guillaume Baschet-Sueur qui met tout son cœur et ses connaissances à la poursuite des travaux de restauration des bâtiments, tâche qui lui a été confiée en plus de la partie végétale, on peut aisément penser que d’ici 8 à 10 ans, le domaine du Grand Daubeuf aura retrouvé son lustre d’antan.

Bravo à lui ainsi qu’à l’actuel propriétaire pour cette reprise en main que l’on peut qualifier d’œuvre d’une vie.

LPA 13 Juil. 2018, n° 137n4, p.13

Référence : LPA 13 Juil. 2018, n° 137n4, p.13

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