Les jardins secrets d’Alexandre Steinlen

Publié le 10/05/2022

Deux chats par Steinlen.

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Il est des artistes qui souffrent du succès de l’une de leurs œuvres particulièrement réussie et qui occulte souvent l’ensemble de leur travail. Théophile Alexandre Steinlen est un peintre, dessinateur, graveur, affichiste, caricaturiste dont la célèbre affiche « La Tournée du Chat Noir » – remarquable par la présence de l’animal hiératique, superbe, rayonnant et fier sous son auréole – demeure avant tout.

Éclectique est la formation de ce peintre suisse né à Lausanne en 1859. En 1876, il étudie la théologie durant deux ans à l’université de sa ville, mais telle n’est pas sa voie ; il entre alors dans l’atelier d’impression de tissu renommé de Louis Schoenhaupt, où il se forme au dessin textile. Mais Paris l’attire, il s’y installe en 1883 à Montmartre dont il deviendra une figure emblématique ; il décède en 1923 à Paris.

Steinlen, qui a trouvé un logement rue Caulaincourt, se sent à l’aise à Montmartre ; il aime observer le monde hétéroclite de la Butte, où se côtoient artistes et petit peuple parisien. Tout ici est vivant, sans contraintes ; le peintre ne tarde pas à faire la connaissance d’Adolphe Villette, créateur de l’enseigne du cabaret « Le Chat Noir », fondé par Rodolphe Salis en 1881 et qui met en scène un chat sur un croissant de lune. En cette fin de XIXe siècle, cet animal figure parmi les thèmes assez récurrents dans la création artistique, en littérature comme en peinture. Steinlen va célébrer l’élégance des chats autant que leurs caractères et leurs comportements. Ce serait restreindre son talent que de ne s’arrêter qu’à son affiche du cabaret qu’il a décoré d’une fresque savoureuse de chats et de lunes d’une grande invention.

Ce lieu attirait les artistes : Debussy y joue une musique inspirée des poèmes de Verlaine, l’on y rencontre encore Erik Satie au début de sa carrière, Toulouse-Lautrec ou les frères van Gogh. Ainsi, Steinlen devient proche de ce milieu artistique, où il se fait des amis. Outre les chats, il s’intéresse à l’humain, réalisant des dessins rapides, pris sur le vif ou plus fouillés des scènes de rues, ouvriers, mendiants, enfants miséreux, prostituées, toute cette faune de Montmartre souvent en marge de la société. Observant ces œuvres, on retrouve une époque révolue entre les images quotidiennes et les célébrités : La Goulue, Aristide Bruant ou Yvette Guilbert qui font la réputation de ce quartier.

Dès 1889, Steinlen exécute des lithographies sur les mêmes thèmes ; ses affiches apparaissent particulièrement imaginatives comme le sont les dessins qu’il réalise pour divers journaux, certains satiriques : L’Assiette au beurre, Gil Blas ou Le Rire. Mais bientôt Paris ne lui suffit plus et à partir de 1890, il se rend dans les environs de la capitale : vallée de l’Oise, Cergy, Jouy-la-Fontaine ; il en exécute des peintures et dessins. Ces paysages paisibles lui inspirent des œuvres puissantes ou plus sereines. Il apprécie le calme, la beauté de ces coins de nature tranquilles dont il recrée l’atmosphère. Il revient au bord du lac Léman, largement traité : il peint l’eau bleue, calme, entourée d’une nature verdoyante. Puis, en 1901, il effectue un séjour en Norvège et découvre une autre ambiance. Revenu en France, il reprend ses thèmes favoris : des ruelles de Montmartre aux vues de Paris et de sa banlieue, avec les collines boisées du Vexin. Il est également un affichiste de grand talent qui donne libre cours à son imagination. Survient la guerre de 1914 qui bouleverse l’artiste, comme en témoignent les dessins de tranchées réalisés en 1917, dans lesquels il dépeint l’horreur, la souffrance en des dessins réalistes.

Au fil du temps, il apprécie de plus en plus la tranquillité de Jouy-la-Fontaine où il acquiert une maison. Des vues de son jardin, que l’on découvre dans son « cahier de jardins », emplies de la fraîcheur de fleurs diverses, de la végétation finement rendues, émane une réelle sensibilité.

Diverse et esthétique, l’œuvre de Steinlen mérite la découverte. S’il a eu une passion pour les chats, si bien évoqués à la manière de portraits, ses peintures, lithographies, gravures affirment son talent. Des œuvres inédites sont à découvrir dans l’exposition, ainsi que les sabots décorés qu’il utilisait pour aller dans son jardin.

• Château d’Auvers, Chemin des berthelées, 95430 Auvers-sur-Oise

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