Les peuples de pierre de Denis Monfleur aux Beaux-Arts de Bordeaux

Publié le 20/06/2023

Denis Monfleur, Sardanapale, 2017. Sculpture en lave de Chambois et du Mont Dore émaillée.

Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

« Mes sculptures sont marquées par la vie, ce ne sont pas des top-modèles » ! Puissantes, habitées, les œuvres de Denis Monfleur sont à l’opposé de la beauté traditionnelle ; elles vont bien au-delà et retiennent immédiatement l’attention par la vérité et l’humanité qui s’en dégage, entre figuration et abstraction.

La ville de Bordeaux offre à ce grand artiste une première exposition personnelle d’importance, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du musée. Certaines pièces sont présentées dans la cour et le jardin de l’Hôtel de Ville, ainsi que sur le parvis de la gare. Le public peut ainsi découvrir 200 pièces, monumentales ou fragmentaires. Ces œuvres, parfois empreintes de spiritualité, témoignent de l’intérêt du sculpteur pour les êtres humains dans leur diversité. Immenses ou de petit format, têtes et torses saisissent par la profondeur qu’ils dégagent.

Denis Monfleur travaille la pierre en taille directe, suivant la tradition ; une pratique qui ne laisse pas de place au repentir. Il s’exprime également à partir de roches volcaniques, polies ou brutes. Les figures, souvent hiératiques, sont un peu à l’image des sculptures de l’Île de Pâques, rappelant ainsi que l’art d’aujourd’hui trouve souvent ses références dans un passé lointain, tout en demeurant contemporain. L’artiste inscrit dans la matière des scarifications, des « cicatrices » dans des sculptures d’une forte densité.

À la gare, deux œuvres monumentales sont exposées pour la première fois : L’Oiseleur et L’Homme sauvage. Ces « peuples de pierre » évoquent la vie décomposée en séries, qui, bien que différentes, se correspondent et se complètent. Impressionnantes autant que fascinantes, des sculptures grandioses animent le jardin du musée : ce sont en majorité des têtes découpées dans le bloc de pierre, à peine sculptées, et si présentes. Elles s’imposent par leur beauté brute, par des visages parfois scarifiés, fortement expressifs, malgré l’absence de traits. La Larme d’or, en granit et feuille d’or, procure une intense émotion. On y admire le travail de l’artiste et de son peuple silencieux, porteur de vie. Il ne sacrifie rien au détail, se concentrant sur l’essentiel : l’âme humaine. Tout sépare L’Homme sauvage, évoqué avec force dans la lave de Chambois, de Saint-Georges, réalisé en une attitude de prière. Et cependant, ces œuvres se répondent : la lumière les irrigue. La Conversation de Faust, sculpture longiligne, est également superbe dans son dépouillement.

Autre atmosphère dans la galerie du musée où sont exposées les sculptures de plus petit format, telles que Les Désaxés, personnages dont le visage, ici plus prononcé, émerge de la pierre. Une même fragilité habite ces visages si différents, tant dans l’attitude que dans l’expression. Avec un rare talent, Denis Monfleur fait vivre ces matériaux divers, primitifs ; sans les dénaturer, il les façonne par larges plans. Ses œuvres sont, pour certaines, polychromes. Un moine bouddhiste au visage travaillé, yeux clos, en méditation, est saisissant de vérité, dans sa tunique traditionnelle orangée. Une sorte de transcendance se dégage de ce personnage. À découvrir aussi, des statues-colonnes, telles que la Conversation des plexus, qui se dressent dans l’espace à peine ébauchées. Dans cette galerie, quelques pièces peuvent être touchées par les visiteurs, une possibilité pour les non-voyants d’explorer les sculptures.

L’exposition met ainsi en lumière le talent de cet artiste qui, d’un bloc de pierre, fait surgir, de façon brute, des personnages d’une grande force.

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