“Les poupées persanes” et “Farces et nouvelles” de Tchekhov en ce moment à Paris

Publié le 16/01/2024

François Fonty

Les poupées persanes, Aïda Asgharzadeh au Théâtre de la Pépinière

Sa pièce La main de Leila avait fait connaître en Avignon, Aïda Asgharzadeh. Cette auteure franco-iranienne réitère avec ses Poupées persanes, qui furent d’abord accueillies au théâtre des Béliers parisiens, où Arthur Jugnot et ses associés cherchent à lancer des auteurs et des compagnies sortant de l’ordinaire. Elle sont désormais au théâtre de la Pépinière où elles seront reprises au printemps. La pièce continue de remplir les salles et son auteure a obtenu le Molière de l’auteur francophone vivant ; son comparse, Kamel Isker, ayant eu le Molière du comédien dans un second rôle.

Un conte poétique, l’histoire d’amour de Bijan et Manijeh, couple mythique des légendes perses, ouvre et clôt le spectacle qui nous entraîne très vite dans une actualité plus réaliste. Se succèdent des instantanés sur la vie de jeunes universitaires idéalistes dans l’Iran révolutionnaire des années 1970, de la chute du Shah à l’arrivée au pouvoir du régime islamique. Ils sont entrecoupés de petites scènes décrivant le quotidien comique d’une mère et de ses deux filles en villégiature dans la station de sport d’hiver d’Avoriaz. Les relations mère-fille sont chères à l’auteure. Dans cette profusion en apparence désordonnée, six acteurs passent d’un personnage à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un décor à l’autre dans un rythme effréné, véritable épopée contemporaine.

L’écriture d’Aïda Asgharzadeh, qui joue aussi l’un des personnages, et la mise en scène de Régis Vallée, sont en fusion dans cette course-poursuite qui suscite chez le spectateur des sentiments mêlés. Le rire efface vite la tristesse, l’espoir de jours meilleurs apaise la révolte, la cocasserie transfigure le tragique. Et quelle énergie positive, quelle générosité !

Farces et nouvelles de Tchekhov au Théâtre du Lucernaire.

Il avait commencé par le registre comique, sarcastique avec des nouvelles et de courtes pièces, ‒ plus de deux cents déjà ‒ avant d’obtenir son diplôme de médecin. Après son voyage dans l’île de Sakhaline auprès des bagnards, l’écriture d’Anton Tchekhov sera plus mélancolique et son humour plus délicat : ce seront les grandes pièces qui le rendront célèbres. Pierre Pradinas, familier de l’auteur dont il a mis en scène La Mouette et Oncle Vania a choisi de présenter sur la petite scène du Lucernaire cinq de ces petites intrigues, soit trois chaque soir avec des combinaisons différentes. Il en est de même pour l’alternance des comédiens. Le menu, ce soir-là, proposait en entrée un monologue, le seul à être présenté chaque soir : Les méfaits du tabac où Niouchkine, terrorisé par sa femme, transforme une conférence sans grand public sur le tabac en un épanchement sur ses déboires conjugaux. Le plat de résistance est soit Une demande en mariage, un classique que connaissent bien les élèves des cours de théâtre, soit L’ours, moins célèbre mais tout aussi truculent. Il s’agit d’un dialogue entre Madame Popova, jeune veuve à la tête d’un grand domaine où elle a décidé de se cloîtrer après la mort de son mari et Smirnov, propriétaire terrien bourru sinon grossier venu lui réclamer un prêt. La confrontation est vive, le choc frontal tourne à l’ambiguïté, les deux tempéraments explosifs ne quittent pas l’excès. Quant au dessert, il s’agissait de La mort d’un fonctionnaire causée par la culpabilité obsessionnelle d’un brave garçon à l’égard d’un général auprès duquel il avait éternué lors d’une soirée de théâtre.

L’immense talent de l’écrivain, sa manière d’inscrire le sarcasme et la dérision dans la bienveillance, son art du portrait, sa drôlerie sont servis par une scénographie minimaliste où quelques chaises et boîtes habilement déplacées laissent imaginer le salon de la datcha, la salle de conférences ou le théâtre et par des comédiens pleins de fougue et subtilité. Belle performance de Philippe Rebbot, à la fois drôle et pathétique en mari martyrisé et en petit fonctionnaire affolé et, dans le registre opposé, celle de Quentin Baillot en ours brutal, maussade, macho tout aussi désagréable que le général qu’il incarne peu après.

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