Les sextuors à cordes de Brahms

Publié le 07/07/2022

Alpha Classics

Fruits de sa période de jeunesse, Brahms illustre avec ses deux sextuors un genre musical qui a connu peu d’exemples avant lui, si ce n’est Boccherini ou Spohr, mais fera des émules, Tchaïkovski, Dvorák ou Schoenberg. La richesse qu’autorise ce singulier dialogue à six, où sont doublées les voix graves du quatuor à cordes, il en fait son miel par de multiples combinaisons entre les trois groupes de deux, des violons, altos et violoncelles, pour des alliages sonores constamment renouvelés. Tout aussi remarquable est l’observance des proportions, qui imprime à ces œuvres un caractère profondément chambriste et ne cherche pas à les traiter comme un succédané d’orchestre. Le Sextuor à cordes N° 1 op. 18 en Si bémol majeur, écrit en 1859-1860, éblouit par sa fraîcheur d’inspiration. À l’aune de son vaste premier mouvement offrant une profusion mélodique à travers ses trois thèmes lyriques, plus rythmique pour le troisième, et un luxe d’associations instrumentales tout au long du développement. La présente équipe des quatre Balcea « augmentés » de Tabea Zimmermann et de Jean-Guihen Queyras, casting de luxe, jouant les autres alto et cello, en livre l’irrésistible jaillissement par une vraie souplesse dans le jeu. À l’Andante moderato, sur le schéma thème et variations, le sombre motif de style populaire est décliné de six manières différentes, sur le mode classique hérité de Haydn et de Mozart. Celles-ci sont menées successivement soit par un instrument, soit par un groupe de deux, sur un rythme variable, empruntant un ton tour à tour lumineux ou mélancolique. Le Scherzo est léger et joyeux, non sans une certaine vigueur ici, et même emporté dans une accélération prestissime à la reprise. Ce qui tranche avec le passage en Trio au lyrisme déjà soutenu. Les Balcea & friends apportent au rondo final une forme de nonchalance avec une belle mise en valeur du cello I. Deux thèmes se partagent cet épisode, l’un paysan, à la Haydn, l’autre plus massif et articulé, qui seront travaillés avec un art consommé du contrepoint jusqu’à une coda brillante, d’une joie communicative.

Tout aussi inventif, le Sextuor à cordes N° 2 op. 36 en Sol majeur (1866) est plus subtil dans son déroulement et d’un abord plus délicat. Le langage s’est complexifié, même si le ton général reste pastoral. Il s’ouvre par un Allegro ondulant à l’alto I traité comme un léger bourdonnement dans une ambiance toute de tendresse dans la nuance ppp et aux élans irrésistibles. Ce mode de bourdonnement caractérise le développement, s’acheminant vers quelque passage plus rythmé et presque orageux, même si le ton agreste reprend le dessus. Suit un vrai-faux scherzo monothématique et d’essence lyrique. Le trio Presto grazioso contraste par son allure de valse rustique, bien rythmée ici et empoignant l’auditeur. De structure thème et variations, le Poco adagio développe un motif presque insaisissable, mélancolique, repris au fil de variations d’une étonnante audace harmonique pour l’époque. Le discours, là encore très inventif, se diversifie rythmiquement jusqu’à ce que la dernière reprenne le motif rêveur d’origine, soldant une conclusion très expressive, que les présents musiciens se font une fête de souligner. Ils s’emparent fièrement du Poco allegro, d’allure presque sautillante, à travers notamment un développement bondissant et une péroraison fuguée d’une indéniable virtuosité instrumentale, modèle de jeu engagé.

Au final, ces exécutions généreuses et mesurées à la fois possèdent un sens remarquable de l’équilibre entre les volumes. Les deux « parties rapportées » au Quatuor Balcea, Tabea Zimmermann et Jean-Guihen Queyras, se fondent idéalement dans un quatuor à la sonorité somptueuse. Le fini instrumental de ces musiciens hors pair, rompus à la pratique chambriste, rejoint une vision pleinement pensée où tout semble couler de source tant le geste est empreint de spontanéité. Une expérience rare de musique de chambre entre amis.

• Johannes Brahms : Sextuors à cordes pour deux violons, deux altos et deux violoncelles N° 1 op. 18 & N° 2 op. 36

Tabea Zimmermann, alto, Jean-Guihen Queyras, violoncelle

Balcea Quartet

1CD Alpha classics

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