Les sonates pour violon seul d’Ysaÿe

Publié le 09/11/2023

Deutsche Grammophone

Eugène Ysaÿe (1858-1931), un des grands violonistes de son temps, fut aussi compositeur. Parmi une soixantaine de pièces, les Six sonates pour violon seul op. 27 (1923) restent son œuvre phare. Elle s’imposa à lui comme une évidence à la suite de l’exécution par Joseph Szigeti d’une des sonates pour violon seul de J.S. Bach. Le grand musicien allemand était d’ailleurs au cœur de sa propre carrière d’interprète depuis les années 1880, figurant régulièrement dans ses récitals, aux côtés de plusieurs de ses contemporains, Franck, Chausson ou Vieuxtemps. L’idée était de s’inscrire à la fois dans l’héritage des Six sonates et Partitas pour violon seul du Cantor et dans l’évolution des techniques de jeu du violon. Ainsi chacune des sonates est-elle dédiée à un interprète célèbre de l’époque et façonnée sur sa technique de jeu.

La première Sonate est logiquement dédiée à Joseph Szigeti. La tonalité de Sol mineur est celle de l’Adagio de la Première sonate BWV 1001 de Bach. Elle est constituée de quatre mouvements : Grave avec un accord de quatre notes, figure centrale de toute l’œuvre, suivi d’un Fugato, d’un Allegretto et d’un Allegro fermo con brio final contrastant les registres. La Sonate N° 2 en La mineur, pour Jacques Thibaud, paie tout autant tribut à Bach. Au point que son premier mouvement est titré « Obsession », rappel du Preludio de la Partita N° 3 en Mi majeur qu’appréciait le violoniste français. Le motif du Dies irae y est présent dès le début. Comme au poignant second mouvement « Malinconia », puis dans « Danse des ombres », dont le thème en forme de sarabande est développé en variations, et au final « Furies », Allegro furioso, intense et tendu. La Troisième Sonate en Ré mineur, dédiée à Georges Enesco, est la plus courte. Intitulée « Ballade » et d’un seul tenant, elle est d’une totale liberté formelle et appelle la bravoure, à l’aune du tempérament exubérant du musicien roumain dédicataire.

Destinée à Fritz Kreisler, la Sonate N° 4 en Mi mineur célèbre les danses, au cœur des Partitas de Bach, et flatte le penchant du célèbre virtuose pour les morceaux techniquement les plus ardus. Si l’Allemande fleure le goût romantique, la Sarabande débute doucement en pizzicatos pour progresser en intensité. De son caractère de perpetuum mobile hyper virtuose, le finale Presto est traversé d’une curieuse section presque comique marquée « Giocosamente ». La Sonate N° 5 en Sol majeur est écrite pour le violoniste belge Mathieu Crickboom. C’est la plus moderne des six. Elle se compose de deux parties : « L’Aurore », sorte d’improvisation, évocation d’un éveil, faite de contrastes, dont des effets irisés et de longues phrases fluides. Puis « Danse rustique » renchérit sur le côté pastoral de l’œuvre. Enfin la Sonate N° 6 en Mi majeur, dédiée au violoniste espagnol Manuel Quiroga, offre un mouvement unique en trois sections. Dans le goût ibérique, elle débute dans la bravoure, pour s’assagir, revisitant un rythme de habanera au médian, et se conclure en feu d’artifice.

Ces aspects pyrotechniques n’ont pas de secret pour Hilary Hahn, pour qui « ces sonates sont vraiment hypnotiques ». C’est peu dire qu’elle en dénoue avec maestria l’intrépidité parfois acrobatique. Mais ce qui fait le prix de cette interprétation réside dans le naturel de l’approche de la violoniste américaine. Alors que ces pièces ne semblent pas avoir figuré à son répertoire avant cet enregistrement, elle indique les avoir apprivoisées en l’espace de sept mois pour cet album. La référence à Bach dont elle joue – et a enregistré – les Sonates et Partitas, se double, souligne-t-elle, de son expérience acquise au contact d’autres compositeurs aussi différents que Chausson, Enesco, Kreisler ou Debussy. Cela se ressent quant à l’intégrité de ton, la précision, le souci de l’articulation et le sens de la polyphonie, tous paramètres au cœur de l’art d’Ysaÿe pour l’interprétation de ces sonates.

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