Les souvenirs du monocle noir
Cet exemplaire du Théâtre complet de Jean Anouilh, avec un envoi à Paul Meurisse, a été adjugé 280 €
Oger-Blanchet
Paul Meurisse (1912-1979 ) joua, pour la première fois, le rôle d’un commissaire de police dans le premier film policier de Jean-Pierre Melville, Le Deuxième Souffle (1966). « [Il] y interprète le plus beau personnage de flic de toute l’œuvre de Melville. La scène où il reconstitue en présence de témoins l’échange de coups de feu survenu dans un bar, tournée en un seul plan, constitue un admirable morceau d’anthologie… », assure Olivier Père dans un numéro d’Arte Cinéma. Il avait une manière d’interpréter la plupart de ses rôles avec la même élégance et le même flegme, tour à tour ironique ou inquiétant. Il restait toujours lui-même, parfois avec une affectation touchant à l’autodérision, en particulier dans la trilogie L’Œil du monocle (1962) de Georges Lautner.
Était-ce lié à ses premières carrières, celles de clerc de notaire, puis de chanteur et danseur ? Toujours est-il que Paul Meurisse fut encore et davantage un énorme comédien au théâtre. La preuve en est cette dédicace rédigée par Jean Anouilh sur le premier tome de son Théâtre complet, préfacé par Pol Vandromme (Lausanne, La Guilde du Livre, 1963) : « Pour Paul, mon frère d’armes, pour lui faire un peu de lecture au cas où nous prendrions tous deux notre retraite ce soir… Bien amicalement (27 septembre 1972). » Cet exemplaire auquel avaient été joints, du même Anouilh, Le Directeur de l’Opéra (Paris, La Table Ronde, 1972), dans une édition originale, avec un envoi au comédien qui dans cette pièce tenait le rôle principal (créée à la Comédie des Champs-Elysées la même année) et Cher Antoine ou l’amour raté (La Table Ronde, 1969, édition originale, un des 60 exemplaires sur Hollande Van Gelder). Cet ensemble a été adjugé 280 € à Drouot par la maison Oger-Blanchet, le 3 octobre 2023, lors de la dispersion des souvenirs de Monsieur et Madame Paul Meurisse.
Le couple vivait à Neuilly-sur-Seine dans un appartement au mobilier très classique. Paul Meurisse avait épousé en troisièmes noces, en 1960, Micheline Gary (1925-2022), également actrice. Les deux ont laissé quelques perles dans leur correspondance. À Gabin par exemple, dans un télégramme : « Je vous propose de renvoyer à leurs cultures les paysans qui envahissent notre profession », ou alors dans une lettre adressée au cinéaste Jean-Pierre Melville « Insolent dites-vous ! oui monsieur je l’étais. Hélas, J’ai pris tant d’antibiotiques que je me sens très con. Rassurez-vous, je me bourre d’antibiocons pour retrouver mes tics ». Un lot important de lettres qui lui sont adressées a trouvé preneur à 2 000 €. On y trouve un billet de Jean Poiret : « Je n’ai pas voulu hier soir me mêler à la foule qui se pressait en coulisses malgré le vif désir que j’avais de vous dire mon admiration, mon enthousiasme pour votre interprétation… » La lettre la plus émouvante est celle que Micheline Meurisse adressa à Jean Anouilh après la mort de Paul : « L’hommage que vous rendez à Paul m’a bouleversée. Parce qu’une fois de plus, comme Paul me l’a si souvent fait remarquer à propos de telle ou telle réplique de vous qu’il avait tant de plaisir à dire, vous avez trouvé les mots justes ; et pour parler de ce qui vous unissait. Paul vous a estimé et admiré plus qu’aucun homme de son métier. Jusqu’au dernier jour ».
Oger-Blanchet, 22, rue Drouot 75009, Paris
Référence : AJU010w2