Les traductions ont plus d’un mérite

Publié le 10/08/2022

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) est qualifié, dans les dictionnaires, de bibliographe français. En 1846, il fut nommé bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. Une charge qui était justifiée. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, ouvrage paru en 1861. Ce livre se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (« la comtesse de Ranc… » [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des Lettres. Nous reprenons cet été la publication de la Lettre XI consacrée au « Cabinet de M. Turgot ». BGF

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« Paris, mars 1848.

– Quel épouvantable avenir, disait un jour au grammairien Domergue [François-Urbain, 1745-1810, académicien français], un homme effrayé des débuts d’une de nos crises révolutionnaires. Dieu seul sait dans quel abîme la France va tomber !

– Ma foi ! répondit le grand promoteur du complétif, arrive que pourra : j’ai dans mes cartons trois mille verbes bien conjugués ; avec cela on peut attendre en paix les événements ; la Providence fera le reste.

On a beaucoup ri de la tranquillité d’esprit du bon Domergue, et de l’arsenal sur lequel il comptait pour braver la fureur des révolutions ; mais, en vérité, tous ceux qui ont le bonheur d’avoir une passion plus ou moins vive se montrent des Domergue, tel ou tel jour. Depuis ma dernière lettre, Madame, celle où je me complaisais dans la reproduction des paisibles temps de Louis XV, dans les souvenirs qui se rattachent à l’illustre ami de mon père, à M. Turgot, non seulement les éclairs qui effrayaient l’interlocuteur du célèbre grammairien ont aussi brillé à nos yeux, mais le tonnerre est tombé sur nos têtes, il a foudroyé nos plus chères, nos plus nobles affections ; il a réduit en cendres la meilleure part de nos fortunes, il a effleuré notre moral… Et je vous adresse aujourd’hui une lettre sur les traductions.

Traduttore : traditore, a-t-on dit assez plaisamment ; mais ce n’est là qu’un jeu de mots appelé par la consonance dans le pays des jeux de mots. Quant à moi, je suis loin de partager les préventions de ceux qui relèguent les traductions dans les bas-fonds de la littérature, préventions injustes qui sont particulièrement celles des écrivains médiocres : les traductions, comme je l’ai déjà dit, ont plus d’un mérite, sans, parler de leur utilité, parfois de leur nécessité. Cependant, Madame, si quelques traductions sont de véritables chefs-d’œuvre il est assez rare que ce genre d’ouvrages forme en bibliographie des livres recherchés des curieux, des livres d’amateur. C’est ce qui a dû empêcher de citer les traductions de mon cabinet en même temps que les livres orignaux qu’elles reproduisent, sen, et ce qui m’oblige d’en faire un article à part ». (À suivre)

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