Les Vies de Vasari
Cet exemplaire grand de marge et relié en vélin à l’époque, a été adjugé 63 188 €
Giquello
On rapporte que Paolo Giovio, que nous appelons en France, Paul Jove, alors évêque de Nucera (1483-1552), avait participé durant le printemps 1546, à l’élaboration des collections du palais Farnèse. L’art l’intéressait au plus haut point ; il avait réuni, à partir de 1538, à Borgo Vico, au bord du lac de Côme, une galerie de 400 portraits d’hommes illustres, constituant ainsi le premier des musées. Il prévoyait de rédiger des « Elogia » de peintres célèbres, en latin naturellement et envisageait d’y ajouter un ouvrage évoquant « Cimabue jusqu’à nos jours » (da Cimabue insino a tempi nostri). Son ami Vasari lui suggéra de faire appel à un professionnel. « Alors, écrivez-le, lui aurait répliqué le prélat. Au moins, l’ouvrage sera en langue vulgaire et ne ressemblera pas à Pline qui est tout ce que je pourrais faire », ajouta l’évêque de Nucera. Vasari accepta le défi. Il avait déjà à son actif une expression qui fit florès. Il fut, en effet, le premier à utiliser, en 1550, le mot rinascita, « renaissance », pour désigner la résurrection des lettres et des arts renouant avec l’Antiquité.
Le manuscrit de ce « dictionnaire des peintres » fut prêt dès juillet 1547, et fut soumis à un réviseur du nom de Gianmatteo Faetani, prieur des Olivétains de Rimini. Il fut ensuite confié à un imprimeur flamand nommé à l’italienne Lorenzo Torrentino, et la Vite de’ più eccelenti architetti, pittori, et scultori italiani sortit des presses en mai 1550, en trois tomes réunis en deux volumes in-4, avec une dédicace au duc de Cosme, comportant 150 notices et sans illustration. Une seconde édition devait suivre en 1568, avec des passages supprimés, notamment dans la vie de Léonard de Vinci, mais avec 48 nouvelles notices. Cette édition est ornée de 144 portraits gravés par Jean de Calcar, dans des médaillons et des encadrements de figures féminines représentant les arts. Cet artiste était un élève du Titien, à qui l’on doit également les figures de L’Anatomie de Vésale, publié trente ans auparavant. Un exemplaire de cette seconde édition, Le vite de piu eccellenti pittori, scultori, e architettori (Firenze, Giunta, 1568, 3 volumes in-4), grand de marge, relié à l’époque en vélin souple à rabats, titrés à l’encre au dos des volumes, a été adjugé 63 188 €, à Drouot, le 22 mars 2024 par la maison Giquello, assistée par Jean-Baptiste de Proyart, lors de la dispersion de la bibliothèque d’Alain Moatti (1939-2023), « le plus érudit des marchands ». Cet exemplaire a autrefois appartenu à Girolamo Perelli (1742-1811), bibliothécaire de la Fraternité dei Laici d’Arezzo, fondée au XIIIe siècle, puis à Charles Fairfax Murray (1849-1919) ; à Edward W. Forbes, qui y apposa sa signature en 1905 ; à Bernard Quaritch, en 1972 et à Arthur et Charlotte Vershbow, dont la bibliothèque fut dispersée à New York, le 9 avril 2013.
Curieusement, Vasari tenta de minimiser son travail d’érudit. Il avait tort : « Vos peintures périront, lui écrivit malicieusement Paul Jove, mais le temps ne consumera pas cet écrit. »
Référence : AJU013h7