L’Heure Bleue de Peder Severin Kroyer

Publié le 15/04/2021
L'Heure bleue
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L’exposition de l’œuvre d’Hammershoï à la fin du siècle dernier à Paris avait suscité un fort enthousiasme. C’était la découverte d’un remarquable peintre intimiste danois inconnu du plus grand nombre. Aujourd’hui, le musée Marmottan Monet propose de faire la connaissance d’un autre artiste du Nord : Peder Severin Kroyer. D’origine norvégienne, il a passé toute sa vie à Copenhague et fut ami d’Hammershoï.

La soixantaine de tableaux proposés affirment le talent de ce créateur, dont c’est la première exposition personnelle en France. Très tôt, Kroyer est séparé de sa mère jugée incapable de l’élever ; il passe donc son enfance chez une tante. Après cette période difficile qui le marquera, il étudie à l’académie des Beaux-Arts de Copenhague, et dès ses premières compositions, il témoigne déjà d’une grande habileté. En 1873, il obtient une bourse et quelques années plus tard il va voyager. C’est ainsi qu’en 1877, il entre dans l’atelier de Léon Bonnat à Paris, un artiste réputé mais l’enseignement classique auquel doit se plier le jeune homme ne lui convient pas ; il apprendra cependant l’étude de la nature. Il a besoin de liberté et de découvertes. Il se rend en Espagne en 1878 ; très impressionné par l’art de Vélasquez, il copie certains de ses tableaux. Puis quelques temps plus tard, il part pour Concarneau où il réalise des paysages à la touche légère ; il partira ensuite pour Londres et en Italie. Kroyer a besoin de ces contacts différents, comme un second apprentissage.

À Paris, il a découvert l’impressionnisme dont on retrouve l’influence dans sa création : le rendu de l’atmosphère, une touche légère. Après ses nombreux voyages au cours desquels il a forgé son écriture, il revient au Danemark en 1882. C’est alors qu’il découvre un petit port isolé dans le nord du pays : Skagen, qui l’inspire immédiatemment. Il passe alors son temps entre Copenhague et ce lieu où il se sent bien, découvre une ambiance atmosphérique nouvelle. Kroyer peint des toiles au dessin souvent succinct, aux contours nets, il préfère traduire les effets de lumière sur la mer ou la plage en accord avec le ciel et la mer, et dans sa palette domine le bleu. Il souhaite partager ces moments avec ses amis, qu’il invite à découvrir cet endroit si particulier. Ces artistes veulent rompre avec le romantisme, ils adoptent la peinture de plein air avec des scènes prises sur le vif. C’est ainsi que se constitue la renommée École de Skagen. Des artistes tels que Michaël Ancher ou Oscar Björ sont séduits par cette lumière du Nord. Ils peignent la vie locale : on remarque notamment Départ pour la pêche au coucher du soleil. Cette vie rude de la mer, les pêcheurs et leur famille sont des thèmes importants. Kroyer observe également les jeunes baigneurs sur la plage ou dans l’eau qu’il brosse avec sensibilité : Garçons se baignant à Skagen.

Mais Kroyer s’attache aussi à peindre son entourage familial, il devient un portraitiste recherché, en témoignent de nombreuses œuvres, telle que Roses, délicat portrait, raffiné, de son épouse allongée sur une chaise-longue à l’abri d’un massif de roses blanches en harmonie avec sa robe ; une scène d’été, image d’un bonheur simple. Après-midi d’été sur la plage du sud de Skagen évoque avec une belle sensibilité son épouse et Anna Ancher, son amie, se promenant auprès d’une mer calme ; une composition dépouillée en une douce harmonie d’ocre clair et le bleu d’une mer étale. S’il peint ses amis, il exécute aussi des portraits d’apparat.

Grâce au tableau de Laurits Tuxen, on découvre la prestance de l’artiste d’un grand naturel. Kroyer peint de nombreux autoportraits. Cependant, il ne néglige pas Skagen qu’il aime peindre à « L’Heure bleue », une « heure suspendue » en fin de journée à l’atmosphère impalpable qu’il traduit en des bleus délicats et nuancés. On découvre une délicieuse petite fille songeuse au bord de l’eau dans sa robe et son chapeau de couleur bleue si bien observée. Et l’on partage les soirées entre amis au jardin dans la douceur du soir, champagne à la main, moments de détente rendus dans leur vérité.

Lumière, fraîcheur, atmosphère caractérisent cette œuvre qui traduit la modernité de la peinture de plein air à la fin du XIXe siècle.

LPA 15 Avr. 2021, n° 159g3, p.24

Référence : LPA 15 Avr. 2021, n° 159g3, p.24

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