L’histoire brève et véridique de la peinture italienne selon Roberto Longhi
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Quand Roberto Longhi, jeune enseignant de moins de 24 ans, dressait le tableau de la peinture italienne, cela donnait un cours haut en couleur aux formules décisives, avec une armée de concepts clés fondant un travail critique audacieux et sans concession. Les jugements esthétiques du futur incontournable historien de l’art sont argumentés et implacables, parfois terribles pour les peintres et peintures qu’il déteste.
Ce cours, dispensé en 1914, année bascule à plus d’un titre, est pour la première fois édité dans une traduction en français. Un texte que tout amateur d’art doit avoir dans sa bibliothèque !
Un radical en peinture
L’approche du jeune Longhi est radicale. Il fonde une critique esthétique de l’art (valable pour la peinture, la sculpture et l’architecture dont il parle aussi) en forgeant des concepts forts et structurants autour desquels son analyse de la peinture italienne s’organise : ainsi, des styles « plastiques », « linéaires », « chromatiques », « perspectifs de forme » peuvent être retrouvés dans le chapitre « Idées ».
Munis de ces fondamentaux, on peut alors se balader avec lui dans la galerie des peintres comme dans un musée dépoussiéré : Giotto, Paolo Uccello, Fra Angelico, Filippo Lippi, Leonard de Vinci, Caravage, Sassetta, Corrège… Ils sont tous là, convoqués par Roberto. Sous sa plume, les analyses et jugements tombent : Michel Ange « représente la dernière grande expression du dessin comme ligne fonctionnelle vibrante en masses de plasticité concentrée » ; Fra Angelico « compte parmi ces peintres timides qui ne se décident pas à prendre parti » ; Pollaiuolo est celui qui parvient presque toujours à un raffinement « avec une ligne fonctionnelle d’une sinuosité admirable et efficace ». On comprend, en page 98, pourquoi Mantegna aurait pu l’égaler sur certains points et pourquoi il n’y a pas réussi.
On se surprend aussi à se poser – à cause ou grâce à lui – de grandes questions : qui entre Masaccio ou Masolino serait vraiment le maître ? Ou de s’interroger si le secret transmis par un Piero della Francesca à l’un de ses élèves Galasso Galassi a été compris ? Et tant d’autres…
La guerre du goût
Longhi, fort des cadres critiques qu’il s’est donné, il apprécie, note, commente. Il dit ses admirations. D’autres moins chanceux ne trouvent pas grâce à ses yeux : le pauvre Ghirlandaio est étrillé ; le mérite-t-il ? Rien n’est moins sûr. On est ravi, évidemment, quand Longhi fait du Songe de Constantin de Piero della Francesca « l’une des plus grandes créations du génie italien ».
Quels que soient les accords ou désaccords que l’on peut avoir avec lui, le fait est que son approche et sa grille d’analyse sont roboratives, même si le côté systématique peut parfois irriter. Longhi, qui ne détestait ni les emportements, ni sans doute la provocation, nous donne toujours de quoi rester en éveil en revisitant le monde infini de l’art. On adore voir sous un autre œil une toile d’un Domenico Veneziano ou Véronèse. La lecture de cette histoire brève, mais consistante, devient une passionnante confrontation : avec les tableaux et avec Longhi !
L’art de parler et d’écrire
Il y a autre chose qui fait de ce cours un magnifique livre : la langue et le style ! Longhi a un art d’écrire qui n’appartient qu’à lui. On recommande à cet égard la note rédigée en fin de livre, par Lucien d’Azay, qui décode et commente le style littéraire de Longhi en y distinguant ses « qualités hautement stendhaliennes ».