L’homme qui avait roulé l’institut
« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été consacré au faux en tout genre. Nous poursuivons l’histoire de la tiare, véritable sujet rocambolesque.
Israël Rouchomovski
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« On finit pourtant par se rappeler que M. de Stern, en dénonçant, dans la Revue philologique, le truquage de la tiare, avait nommé Rouchomovski. Les Débats du 3 octobre 1897 avaient même publié un démenti du graveur russe. Mais le mystérieux faussaire était resté introuvable à Odessa. C’est du moins ce que prétendaient M. Salomon Reinach et ses confrères de l’aréopage. Il ne le fut pas longtemps. Un journal du matin pria un de ses correspondants de se mettre en rapport avec l’artiste, et le télégraphe lui apporta cette réponse : « Odessa, 25 mars. Le graveur Israël Rouchomovski, demeurant à Odessa, rue Ouspenskaïa, numéro 36, déclare catégoriquement être l’auteur de la tiare : il dit l’avoir exécutée en 1896 sur la commande d’un individu venant de Kertch. » Rouchomovski offre, moyennant 1 200 francs, d’arriver à Paris. Cette fois, c’en était trop. Le ministre de l’Instruction publique, M. Chaumié, appelé à donner au Sénat des explications, annonça qu’une enquête allait être ouverte. Le 28 mars, on apprit qu’elle était confiée à M. Clermont-Ganneau, membre de l’Institut, professeur au Collège de France. MM. Kaempfen et Héron de Villefosse lui firent remise de la coiffure litigieuse, qui fut placée sous scellés, dans un local spécial du Louvre. Rouchomovski reçut les 1 200 francs qu’il demandait pour son voyage, avec recommandation de faire diligence. Le 5 avril, il débarquait à Paris via Varsovie-Berlin, et descendait au Central Hôtel, sous le nom de Bardès.
La curiosité parisienne fut portée à son comble. Les revues illustrées donnèrent la photographie de l’homme qui avait roulé l’Institut. Leurs confrères de la presse quotidienne se contentèrent de portraits écrits, mais suffisamment suggestifs. « La tête, bizarrement petite pour l’épaisseur du buste et la longueur des membres, avait, à certains moments, avec les deux trous bleus des grosses lunettes à branches d’or, quelque chose d’une tête de mort. » On sut comment Rouchomovski s’habillait, on le suivit à son hôtel, au petit restaurant israélite où il mangeait. On porta son talent aux nues. Des orfèvres de la rue de la Paix lui firent un pont d’or pour l’engager à travailler pour eux. Le pauvre graveur, qui ciselait à Odessa des matrices de lettres d’ornement à estamper des boîtes métalliques, se vit arriver à la célébrité. » (À suivre)
Référence : AJU014m4