L’homme qui esquissait sa vie
Albin Michel
Karl Lagerfeld s’en est allé, le 19 février 2019, sur la pointe des pieds.
Sa frêle silhouette, reconnaissable entre toutes, était apparue de loin en loin à quelques défilés, mais nous avions été alertés par son absence lors du défilé Chanel le 22 janvier 2019.
On disait l’homme malade, mais peu imaginaient à quel point, tant il était discret sur ses problèmes personnels. Il préférait l’exubérance de propos bien sentis, des punchlines qui pouvaient faire trembler le petit monde de la mode et les grands noms du luxe.
Le personnage, qui avait fait de sa silhouette son image de marque, se laissait peu approcher par des inconnus et ne donnait uniquement ce qu’il voulait bien donner, et encore… quand il n’arrangeait pas la vérité elle-même…
C’est pour mieux connaître l’homme derrière le personnage public que Raphaëlle Bacqué, journaliste dont les précédentes biographies et enquêtes ont souvent été des best-sellers, a commencé à enquêter sur Karl Lagerfeld et nous livre une biographie aux éditions Albin Michel, sobrement intitulée : Kaiser Karl.
Personne n’avait jamais osé parler, ou ne rapportait que des événements déjà connus de tous, tant l’empereur Karl faisait régner l’omerta. Il pouvait être tout aussi charmant, généreux, intelligent que cruel et froid.
Ce n’est qu’à son décès que les langues ont commencé à se délier, et que la journaliste a pu mener à bien son travail d’enquête pour raconter Karl.
Qui était-il vraiment ? Qui étaient ses parents : des nobles, des bourgeois allemands, prussiens, et quel fut le rôle de son père, dont il parlait si peu, pendant la Seconde Guerre mondiale…? Quelles furent ses relations avec sa mère, dont il était si proche mais dont il n’hésitait pas à caricaturer le personnage ?
Ses débuts comme une évidence dans la mode, ses relations avec Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, son grand amour Jacques de Bascher… Sa passion pour son travail, sa vie, son œuvre.
Tout est passé au crible de la journaliste, l’enquête est minutieuse.
Raphaëlle Bacqué nous raconte dans un style enlevé et lipide, les folles soirées dans le Paris des années 1970 et 1980, ses relations avec les premières d’atelier, les contrats chez Chloé, Fendi ou Chanel.
Elle revient même sur les traces de son enfance à Hambourg, mais, finalement, on apprend que peu de choses dans cette biographie…
Tout a déjà été dit par Karl lui-même. Et ceux qui ont suivi la carrière du couturier, connaissaient les critiques de ses ennemis (il n’a jamais rien créé, il ne s’inspire que de l’air du temps) et les louanges de ses amis (l’homme incroyablement généreux et attentif qu’il pouvait être).
Il a mieux que personne raconté sa vie rêvée : il en a esquissé les traits.
Ses récits ont bâti sa légende.
Comment démêler aujourd’hui le vrai du faux ? Les mêmes anecdotes reviennent…
Mais, après tout, peu importe que cela soit vrai, tant que l’histoire est belle, comme une veste Chanel…