L’homme sans qualités

Publié le 15/12/2021

Cet exemplaire de l’édition originale française était affiché 7 500 € à la Biennale des antiquaires.

Librairie Amélie Sourget

Robert Musil (1880-1942) apparaît comme l’un des grands oubliés de la littérature mondiale. Cet ingénieur discret, qui s’était d’abord destiné à une carrière militaire avant de l’abandonner, se tourna vers la philosophie et la psychologie, puis dans une carrière littéraire intense. À Klagenfurt dans la Carinthie, au sud de l’Autriche, sa maison natale – où il ne vécut qu’un an après sa naissance – est située juste face à la gare de chemin de fer. Elle a été transformée en musée. On y pénètre avec la même précaution que l’on a dans un sanctuaire. Les différentes éditions de ses ouvrages peuplent les vitrines comme les photos de sa vie privée et publique, celles de ses demeures… Il reste que nous sommes dans l’antre de l’auteur de Der Mann ohne Eigenschaften, autrement dit : L’Homme sans qualités. Ce roman est considéré comme l’un des plus grands du XXe siècle. Le premier tome parut en 1930 chez Rowohlt et ne sera publié qu’à 5 000 exemplaires. Thomas Mann devait aussitôt écrire dans la revue littéraire DasTagebuch que Der Mann ohne Eigenschaften était « un roman actuel, au sens le plus fort ». Il reviendra plus tard sur lui, en lui trouvant une « parenté avec Proust » ; le deuxième tome sortit le 30 janvier 1933. Un exemplaire de ces deux tomes réunis a été présenté à la vente, le 4 décembre 2020 à Berlin, par la maison Jeschke van Vliet, avec une estimation de 800/1 200 €.

Robert Musil prévoyait un troisième tome qu’il annonça en février 1936 à son éditeur Rowohlt. Mais, victime de la situation politique en Allemagne et en Autriche, il ne put mener à bien la rédaction de la suite de son ouvrage ainsi que la publication de ses autres écrits, notamment ceux qu’il avait nommés les Œuvres pré-posthumes, qui seront interdites en 1938 par les nazis, comme le sera toute son œuvre l’année suivante. Musil se réfugia en Suisse et se retrouva dans une situation précaire. Il tenta de publier L’Homme sans qualités à La Nouvelle Revue Française. Malgré les éloges de Jean Paulhan, Gallimard voulut lui imposer des coupes, ce que Musil refusa. À Genève, sa situation tant financière que physique se dégrada de plus en plus ; Robert Musil mourut le 15 avril 1942 à l’âge de 61 ans, sans avoir pu achever le troisième tome.

Ce n’est que dans les années 1950 qu’Adolf Frisé édita des extraits du roman et contribua ainsi de manière déterminante à sa redécouverte. La libraire Amélie Sourget y contribue encore à sa manière, en ayant proposé lors de la Biennale des antiquaires, un des 55 exemplaires de tête sur vélin broché sous étui, de l’édition originale française dans la traduction « impeccable » de Philippe Jaccottet, affiché 7 500 €. Pour ce traducteur, Musil était « partagé entre sa fascination pour la science, la rationalité et la poésie, et même la mystique ». Il se voulait le témoin d’une civilisation à l’agonie car désenchantée.

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