Lieder de Schubert en habits symphoniques

Publié le 13/06/2023

Schubert revisited, avec Matthias Goerne, orchestré par Alexander Schmalcz

The Deutsche Grammophon

Matthias Goerne s’offre le luxe d’enregistrer à nouveau un choix de Lieder de Schubert, non pas dans leur version originale avec piano, mais dans des arrangements pour voix et orchestre réalisés par Alexander Schmalcz, partenaire de longue date. On connaît les transcriptions de Lieder de Schubert dues à Brahms, Reger, Liszt, Webern et même Berlioz. Toutes ont leur intérêt. Pianiste accompagnateur, Alexander Schmalcz sait combien il faut être discret vis-à-vis de son chanteur. Compositeur cette fois, il lui faut respecter aussi bien la ligne de chant que l’esprit des textes. Il indique n’avoir « rien ajouté » dans le but « d’être aussi près que possible de l’original ». Goerne précise au demeurant que la sélection de pièces qu’il a faite « acquiert une dimension  »timbrique » que le piano est incapable de reproduire ». Pour lui, « la version orchestre n’est pas meilleure, seulement différente ». On peut ajouter qu’elle peut enrichir l’original au sens de l’enluminer ; là où on se souvient que le piano de Schubert est souvent  »orchestre » tant il est riche. Le résultat est confondant d’authenticité, grâce au travail sur les cordes légèrement rehaussées, selon les pièces, de traits de bois, créant un effet comme magique, voire de cuivres pour corser l’intensité.

Ainsi le lied An Silvia D 891, par lequel débute le programme, offre-t-il à cette sérénade un élan que l’ajout de la trompette doublant la ligne vocale achève de rendre lumineuse. Dans le même registre élégiaque, Pilgerweise (Sagesse du pèlerin) D 789, avec son rythme dansant, voit l’orchestre souligner la voix intérieure, là où le baryton s’épanche dans le registre presque ténorisant. Et dans Abendstern D 806, l’écrin discret des cordes en une sorte de pédale de la basse soutient d’un calme imperturbable la voix de l’homme chantant la beauté de l’étoile du soir. Les Lieder de facture plus dramatique bénéficient de pareils judicieux traitements. Ainsi dans Der Tod und das Mädchen D 531 (La jeune fille et la mort), l’ajout du trombone donne-t-il d’emblée à la mélodie un ton sépulcral. Et le contraste est saisissant entre les deux versets, le premier distribué aux cordes pour évoquer la prière de la jeune fille, le second rehaussé de cuivres s’agissant de la réponse de la mort. Toute la densité de cette si brève scène mais aussi la simplicité des moyens retenus par Schubert dans le couple piano-voix, on les retrouve dans la combinaison de celle-ci avec l’orchestre. Dans le fameux Erlkönig D 328 (Le Roi des aulnes), l’entame de course haletante se traduit par une volée de cordes digne du Prélude du Ier acte de La Walkyrie, que l’on retrouve dans les exclamations affolées du fils. Ailleurs, on entend les timbales associées aux contrebasses créer un « extrêmement étrange, profond, triste et bourru murmure », souligne Goerne. Dans cette transposition orchestrale, le drame de cette tragique ballade est porté à un degré presque insoutenable, alors que la partie vocale se déchaîne jusqu’à la tragique fin. La manière Durchkomponiert prédestinait peut-être certains Lieder à l’orchestre. Ainsi, par exemple, remarque-t-on combien les bois, dans Schäfers Klagelied D 121 (Plainte du berger), relèvent délicatement le drame sous-jacent.

Si ces magnifiques arrangements ne remettent pas en cause l’esprit des mélodies, c’est aussi grâce à la qualité de l’exécution instrumentale. La Kammerphilharmonie de Brême joue ici sans chef. C’est le chanteur qui mène les opérations en lien direct avec le Premier violon. Et Matthias Goerne de dire au sujet de l’enregistrement « Je chantais pour l’orchestre et dirigeais en même temps avec l’aide du Konzertmeister ». Il faut dire qu’il est ici chez lui, royal comme toujours, avec la poétique de Schubert, maîtrisant cet idiome comme peu aujourd’hui. On reste subjugué par les couleurs infinies de ce timbre séduisant entre tous, ses teintes ténorisantes sur des ralentissements proprement magiques du plus bel effet, et ses graves impressionnants, proches de la voix de basse. La limpidité de la ligne de chant, les oppositions d’émotions si consubstantielles à l’univers schubertien, tout est de la meilleure veine dans ce face-à-face instrumental « augmenté », ajoutant un autre éclairage à ses interprétations bien connues des Lieder avec piano.

Schubert revisited, choix de Lieder orchestrés par Alexander Schmalcz

Matthias Goerne, baryton

The Deutsche Kammerphilharmonie Bremen

1CD Deutsche Grammophon

Plan