L’Opéra de quat’sous

Publié le 08/11/2016

Opéra et (ou) pièce de théâtre, la grande œuvre de Bertolt Brecht et Kurt Weill L’Opéra de quat’sous, reprise par le Théâtre de la Ville (fermé pour cause de travaux), est accueillie dans une salle dévolue à la musique : le Théâtre des Champs-Élysées. À celui des deux complices il faut associer le nom de Robert Wilson, car il s’agit bien d’une transfiguration qui n’est quand même pas une transgression d’un spectacle créé à Berlin il y a près de 80 ans et revisité, parfois outragé, par des appropriations plus ou moins réussies. Le prestigieux plasticien américain, qui a depuis longtemps ses habitudes au Berliner Ensemble, a signé cette mise en scène en 2007. Grand succès, carrière internationale et déjà Paris et le Théâtre de la Ville qui, après le Faust, réitère.

L’Opéra de quat’sous.

L. Leslie-Spinks

Inspirées du Beggar’s Opera (Opéra du gueux) de John Gay et Johann Pepusch, représenté à Londres en 1728, les aventures de Macheath alias Mackie-le-Surineur, de ses femmes, Polly, Jenny, Lucy, de Peachum et de son épouse, des Thénardier à la tête d’une florissante entreprise de « mendiants », l’atmosphère du petit peuple interlope de bandits, prostituées, policiers corrompus, dont l’inquiétant Tiger Brown, restent contemporaines, ainsi que la satire sociale sur la corruption des grands et la nécessaire débrouillardise, par tous les moyens, des petits.

Ici la « marque » Wilson, d’emblée reconnaissable, emporte l’ensemble et le public ne manque pas d’ovationner les compositions graphiques, les jeux de lumières, l’intime collaboration entre le mime, la danse, les ombres chinoises, le soin apporté aux costumes et maquillages avec, chaque fois, de nouvelles trouvailles sans aucune faute de goût. Ici l’inspiration puise aux sources de l’expressionisme allemand. Londres et Soho sont peints aux couleurs du Berlin des années 1930, Mackie est un jeune androgyne blond platine sorti du Théorème de Pasolini, Tiger Brown a la longue silhouette du Nosferatu de Murneau et Jenny-des-Lupanars a l’allure et le teint diaphane que les peintres donnaient alors à leurs muses.

On applaudit Robert Wilson et une fois encore ce remarquable spectacle. Mais l’ensemble est un peu trop « chic », on se trouve un peu trop confortablement installé au Casino de Paris ou à Broadway et l’on regrette que l’émotion esthétique un peu froide l’emporte sur l’émotion tout court, bouleversante, celle qui prend aux tripes devant cette dénonciation de la misère – surtout morale – transfigurée à la fois par une critique formidable des sociétés contemporaines et une espérance par le combat. L’humour lui-même est trop « chic », trop papier glacé, pas assez vulgaire et rugueux.

Oui mais, il y a la remarquable performance de la troupe du Berliner, leur professionnalisme d’acteur-chanteur, leur énergie. Plus de vingt comédiens tous excellents. On retiendra évidemment la nouvelle performance de Christopher Nell, à nouveau séducteur aussi pervers en Faust qu’en Macheath, celle du Jürgen Holtz et de Traute Hoess, le couple Peachum, lui serpent froid, elle vipère tonitruante, les retrouvailles avec Angela Winkler, inoubliable Katharina Blum en Jenny. Ah, ce Berliner, presque un siècle d’âge et pas une ride !

 

LPA 08 Nov. 2016, n° 121x1, p.16

Référence : LPA 08 Nov. 2016, n° 121x1, p.16

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