L’opéra Hamlet revisité

Publié le 21/01/2021

L'opéra Hamlet revisité

Naxos

Créé à Paris à l’Opéra Comique en 1868, Hamlet d’Ambroise Thomas n’y avait plus été représenté depuis 1938. Sa reprise fin 2018 en ce même lieu, dont ce DVD est le reflet, montre que l’ouvrage a encore de beaux jours devant lui. Certes, les librettistes ont pris des libertés avec l’original shakespearien sans trop se préoccuper du sous-bassement politique, voire philosophique de la pièce, et ont mis en avant l’intrigue amoureuse entre Hamlet et Ophélie. Mais il serait injuste de réduire sa portée au fameux air de la folie de celle-ci. L’intérêt de l’œuvre repose sur le rôle titre façonné pour un baryton-basse, une audace si l’on s’en tient au cliché qui veut qu’on doive confier à un ténor la place principale dans un opéra de l’âge d’or. À se concentrer sur ce personnage, la dramaturgie s’avère plus consistante qu’il n’y paraît : une tragédie de la trahison, celle d’un fils meurtri par le remariage de sa mère et qui devra venger la mort d’un père, conformément à l’intimation du Spectre du feu Roi, même si au prix du sacrifice d’une âme tendre, Ophélie. Dans sa mise en scène, Cyril Teste l’a bien saisi qui fait d’Hamlet le pivot autour de qui tout s’organise, au point de le rendre présent continûment, même hors de la scène : un homme qui cherche à savoir. La dramaturgie du spectacle mêle cinéma et théâtre pour visualiser à la fois ce qui se déroule frontalement et ce qu’on ne peut pas voir, mais pressent : singulièrement ce qui se passe dans l’intime des personnages. Rarement l’usage de la caméra au poing et en direct a-t-il été aussi en phase avec le traitement même de l’action, véritable adjuvant. Au point de faire devenir réalité le rêve de tout régisseur : les trois dimensions. Ce qui crée une relation de proximité avec les protagonistes. Jusqu’à être une sorte de « construction mentale », celle qui hante Hamlet.

La régie est d’une étonnante fluidité dans ses changements à vue, les techniciens devenant partie intégrante de l’action. L’ouverture de scène ou le fond de plateau sont partagés en deux : au premier plan le « vrai » théâtre et au-dessus l’écran sur lequel est visualisé ce qui se passe à l’avers de celui-ci. Ainsi le spectacle dans le spectacle, « Le meurtre de Gonzague », est-il à cet égard un vrai tour de force, qui offre simultanément divers plans : la cour assise sur un banc de dos, regardant la pièce organisée par Hamlet pour démasquer le roi, les apartés, de face cette fois, entre Hamlet et Ophélie, les réactions peu à peu effarées du roi et de ses gens, qui filmées apparaissent sur l’écran au-dessus de l’aire de jeu, puis la folie simulée d’Hamlet dansant sa joie dans la salle même devant l’orchestre, tandis enfin que la foule de la fête gâchée s’empare des allées du parterre. La captation filmique réussit le tour de force de saisir ces trois dimensions, dont le film précisément, en suivant fidèlement le mouvement dramaturgique et dévoilant la grande beauté plastique du spectacle.

La direction de Louis Langrée associe avec bonheur la coulée mélodique de la musique et sa veine mélancolique qui transparaissent à travers quelques motifs récurrents. N’éludant pas ce qui ressortit à la convention, elle mise sur l’originalité de l’orchestration et l’éventail des coloris, des bois, des cors, sans oublier le saxophone, une nouveauté alors. Surtout s’attache-t-elle à façonner la prosodie chantée. Ainsi de la prestation de Stéphane Degout dans le rôle titre, l’un des plus complets du répertoire français du XIXe siècle. Une interprétation de référence ménageant tout le ressenti de l’homme solitaire et torturé, grâce à un timbre clair, enrichi d’envolées presque ténorisantes, magnifié par un sens inné de la déclamation et une vraie justesse de ton. Sabine Devieilhe prête à Ophélie un soprano lyrique épanoui où l’expression prime sur la virtuosité et une présence de chair et de sang, loin d’un être hors du temps. On citera encore Sylvie Brunet-Grupposo, une reine Gertude partagée entre instinct maternel aigu et pression des événements, comme la prestation magistrale du chœur Les éléments.

LPA 21 Jan. 2021, n° 158t8, p.24

Référence : LPA 21 Jan. 2021, n° 158t8, p.24

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