Paris (75)

Manet – Degas : entre amitié et rivalité

Publié le 13/06/2023

Naviguant entre complicité et rivalité, admiration et jalousie, les amis et concurrents Édouard Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917), artistes majeurs d’une peinture renouvelée entre 1860 et 1880, notamment par le réalisme de leurs compositions, dialoguent sur les cimaises du musée d’Orsay. Une confrontation qui permet d’admirer de nombreux tableaux emblématiques, dont certains venus des États-Unis et d’Europe, et de découvrir les relations parfois chaotiques de ces deux peintres.

Monsieur et Madame Manet, peint par Edgar Degas, 1868-1869.

Musée d’Orsay

Ces artistes en rivalité permanente et cependant amis ont choisi de représenter dans leurs peintures des sujets innovants, comme des courses de chevaux, des scènes de café ou de plages, ou encore la famille, thèmes qu’ils traitent à travers leur propre sensibilité : Manet se révélant plutôt optimiste, tandis que Degas d’un caractère plus sombre. Leurs goûts ne sont pas les mêmes en littérature ou en musique, mais la création artistique les rapproche. Ils se rencontrent au café, en particulier à la Nouvelle Athènes, dans les expositions et chez les marchands, discutent et ont en commun la captation de l’instant, de la lumière. Si Manet travaille parfois en plein air, il ne participe pas à l’impressionnisme ; Paris est son univers. L’apprentissage de ces artistes issus de la bourgeoisie, originellement tous deux destinés à des études de droit, s’effectue auprès de peintres de renom, et non à l’École des Beaux-Arts : ils copient les maîtres exposés au Louvre, et sans doute est-ce dans ce musée qu’ils se rencontrent en 1860.

Autre rapprochement, il effectuent un voyage en Italie afin de découvrir les artistes de renom des siècles précédents. Mais si Manet aime le monde, Degas s’enferme volontiers dans son atelier. Ils ont en commun leur passion pour Ingres et Delacroix, ainsi que leur amour pour Paris. Dignes représentants de la modernité, ils se portent une admiration réciproque, non dénuée de concurrence ; leur relation est parfois orageuse. Dans les portraits nous faisant pénétrer dans leur intimité familiale, on peut citer Madame Manet au piano, peint par Manet lui-même, ou le tableau Monsieur et Madame Manet, peint par Degas. Ce dernier a été à l’origine d’une grande discorde entre eux, puisque Manet, trouvant sa femme enlaidie, la cache en partie avec une bande de toile. Si Manet refuse autant le sentiment que l’effusion, Degas saisit les êtres dans leur vérité.

À l’instar des artistes de l’époque, ils ne peuvent se soustraire à la présentation de leurs œuvres au Salon. Tous deux représentent la nouveauté, mais Manet semble plus à l’aise. En 1865, il fait scandale avec L’Olympia, nu féminin sous lequel perce un érotisme qui bouscule les normes. Un des modèles du peintre, Berthe Morisot, sa belle-sœur, incarne, quant à elle, dans des portraits expressifs et vivants, l’élégance féminine. Degas s’attache davantage à la présence, aux attitudes. Une autre vision du portrait apparaît avec les groupes, comme avec La famille Bellelli, où Degas s’intéresse à chaque personnage dans un cadrage inventif. De même dans le célèbre Balcon, réalisé par Manet avec virtuosité ; une œuvre qui révèle sa créativité dans la construction d’une toile.

Les deux peintres traitent également le sujet innovant des courses hippiques qui se développe alors, attirant la bonne société. Chacun y apporte son regard : Manet évoque l’action, les chevaux au galop, tandis que Degas préfère évoquer l’atmosphère, les bêtes piaffant avant le départ. Autour de 1860, l’impressionnisme commence à s’imposer. Manet, qui travaille parfois en plein air, est bientôt considéré comme le chef de file du mouvement, ce qu’il ne souhaite pas, ayant une conception personnelle de la peinture. Degas, quant à lui, participe bien aux expositions impressionnistes.

Malgré les scènes de plage fort vivantes qu’ils réalisent, ils restent l’un et l’autre avant tout Parisiens. Les cafés, la bohème qui s’y rencontre, ainsi que les femmes esseulées, parfois écorchées par la vie, comme dans L’Absinthe, où Degas traduit l’atroce vérité de ce couple qui noie ses soucis dans l’alcool, sont leurs sujets favoris. La Prune, naturaliste, révèle une femme pensive, désabusée, que Manet peint dans toute sa fragilité. Manet et Degas proposent aussi une autre conception du nu féminin en le plaçant dans le quotidien, durant la toilette. Ils s’attachent pareillement à la douceur des courbes des corps, à la véracité d’un moment intime. Ainsi apparaît au fil du parcours de cette exposition ce qui réunit et sépare ces artistes au tempérament si différent.

Quand Manet meurt prématurément, Degas, qui semble très affecté, acquiert de nombreuses toiles de son ami, tentant ainsi de le maintenir en vie.

Musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris

Jusqu’au 28 juillet, de 9h30- 18h, et le jeudi jusqu’à 21 h 45. Fermé le lundi

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