Mme Manguin sur le sofa

Publié le 09/12/2024

D’Henri Manguin, Nu au canapé (1915) était présenté à la FAB

Richard Green Art Gallery

Les peintres se réfugient dans leur atelier, c’est bien connu. S’ils le perdent, ils sont perdus ; mais la solidarité entre les artistes entraîne parfois des créations en chaîne qui réjouissent ensuite les historiens et amateurs d’art. Après la mort de Gustave Moreau en 1898 et la fermeture de son atelier, Henri Matisse (1869-1954) et Albert Marquet (1875-1947) se replièrent dans l’atelier de leur camarade Henri Manguin (1874-1949), au 61 rue Boursault à Paris. Au cours de l’hiver 1904-1905, lors de la séance de pose d’un modèle nu, Marquet peignit Matisse dans l’atelier de Manguin. Matisse, de son côté, réalisa un tableau décrivant Marquet peignant un nu dans l’atelier de Manguin (gouache et aquarelle sur papier) qu’il ne signa pas. Il existe encore une autre peinture, Nu dans l’atelier, longtemps attribuée à Matisse, puis à Marquet, puis à Manguin, sans aucune certitude. Bref, ces œuvres croisées permettent d’examiner les influences entre les artistes.

Lors de la FAB (Fine Art la Biennale) qui s’est tenue récemment sous la verrière du Grand Palais enfin rouvert, la galerie Richard Green de Londres présentait une œuvre d’Henri Manguin, Nu sur un canapé (50,2 x 61,3 cm) peint à Lausanne en 1915. Le modèle, la femme de l’artiste, Jeanne-Marie, à demi assise contre le rebord du meuble, présente une carnation rosée, très claire en comparaison de la luxuriance du décor. « Elle est enveloppée dans une pièce aux couleurs vives, vibrantes comme la palette des années Fauves », dit le galeriste. Ce décor se rapproche, en effet, autant de la manière de Vuillard que de Matisse. Ce qui n’est pas étonnant, car Manguin fut l’élève de Matisse et fréquentait Marquet, Rouault et Camoin, familiers de l’ancien atelier de Gustave Moreau. Comme nous venons de le lire, ceux-ci se réunirent tous chez Manguin et se distinguèrent grâce à une palette composée de couleurs vives et anti-naturalistes, comme un « véhicule d’émotion. » Selon Charles Terrasse (1893-1982), neveu de son ami Pierre Bonnard, Manguin était un « Fauve généreux ».

Au moment de la déclaration de la guerre, en 1914, Manguin et sa famille quittèrent Cassis pour gagner la Suisse, un pays neutre. Ceci avec l’aide de son ami Félix Vallotton (1865-1925). Au cours de son séjour, l’artiste peignit des natures mortes de fleurs et un certain nombre de nus, en prenant sa femme Jeanne-Marie comme modèle. Nu sur un canapé est considéré comme l’une des plus belles de ses œuvres intimes et sensuelles. Sur le mur, au-dessus du canapé, on aperçoit un tableau, sans doute une reproduction de l’Olympia de Manet, un clin d’œil. Le Nu sur un canapé s’inscrit en effet dans la longue tradition des odalisques qui de Ingres à Degas, en passant par Matisse, peuplent les cimaises. Nous songeons à La Lorette allongée sur lit rose peinte par Matisse, en 1916. Le tableau de Manguin fut acquis en janvier 1916 par le collectionneur zurichois Hans Schuler. Sous la verrière du Grand Palais, les couleurs de ce « nu » rappellent à elles seules la période riche en création du début du vingtième siècle.

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