Modigliani : un peintre et son marchand
Jusqu’au 15 janvier 2024, le musée de l’Orangerie consacre une exposition aux liens entre Amedeo Modigliani et son marchand Paul Guillaume, dans une période emblématique du parcours de l’artiste.
Amedeo Modigliani (1884-1920), Paul Guillaume, Novo Pilota, 1915, Huile sur carton collé sur contre-plaqué parqueté, Paris, musée de l’Orangerie
RMN-Grand Palais (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski
Cultivé, raffiné, talentueux, Amedeo Modigliani (1884-1920) a été apprécié par son entourage, comme il est encore aujourd’hui. Son génie plastique s’est affirmé au cours des années d’une manière éclatante ; singulière, son œuvre ne se rattache à aucune école.
Les grands nus sensuels aux courbes ingresques, presque sans modelé, les portraits au cou allongé, à l’expression forte, évoqués dans le raffinement du tracé léger en une palette où prédominent ocre et terre, contrastant avec le noir de la chevelure, le rouge des lèvres, ne peuvent laisser indifférent. Évoquer la rencontre entre cet artiste et le marchand Paul Guillaume constitue le fil rouge de l’exposition, avec la présentation de plus d’une centaine de toiles vendues par le galeriste, de près de cinquante dessins et d’une douzaine de sculptures. Sans Paul Guillaume, Modigliani n’aurait sans doute pas connu le même succès.
Né à Livourne, sa santé fragile ne l’empêche pas d’étudier auprès d’un peintre proche des « Macchiaioli ». En 1900, il entreprend un voyage à travers l’Italie à la découverte des maîtres anciens qu’il ne cesse d’admirer ; il lit Dante et Leopardi aussi bien que Nietzsche et Spinoza et étudie à Florence à l’Académie du nu. C’est en 1906 qu’il réalise son rêve : vivre à Paris, phare artistique incontestable. Il vit à Montmartre, rencontre les cubistes et découvre l’art africain. C’est en 1909 qu’il s’installe à la Cité Falguière à Montparnasse, dont il deviendra une figure incontournable. À cette époque, il pratique encore la sculpture, qu’il abandonnera bientôt au profit de la peinture. Proche des artistes de l’École de Paris, il conserve cependant son indépendance d’écriture.
La rencontre de sa vie sera, grâce à Max Jacob, celle du jeune galeriste Paul Guillaume en 1915, qui soutient l’art figuratif dans une conception moderne. D’emblée intéressé par son œuvre, il devient son marchand. Dès leur rencontre, le peintre réalise son portrait, dans lequel il s’affranchit du modelé ; l’on y décèle également son goût pour l’arabesque.
Masques et Têtes, exécutés entre 1911 et 1913, sculptés mais aussi dessinés constituent les prémisses des créations futures. Ces œuvres ne pouvaient qu’intéresser Paul Guillaume, qui considérait, chose rare pour l’époque, les créations africaines comme de véritables œuvres d’art.
Modigliani peint portraits et nus ; il prend ses modèles parmi ses amis : Brâncuși, Kisling, Max Jacob ou la poétesse Béatrice Hastings, parmi d’autres. Il se fait témoin de la vie artistique intense de la capitale. Pureté de la ligne incisive, arabesque, fermeté qui délimite les volumes ; les portraits à l’expression sereine sont le plus souvent exécutés comme les nus, dans le raffinement d’une palette restreinte et délicate. La personnalité du modèle est cernée avec acuité. Modigliani affirme sa singularité : yeux pour la plupart sans pupilles et en amande, cou allongé. Certains visages s’apparentent à des masques. L’élégance habite ces portraits. En 1918, Paul Guillaume diffuse les œuvres du peintre pour la première fois ; il ne cessera ensuite de les présenter en France et aux États-Unis.
Autre rencontre importante, celle du marchand polonais, Léopold Zborowski. En 1918, Modigliani part dans le Midi avec sa compagne Jeanne Hébuterne, fuyant les bombardements et la vie difficile de Paris. Il réalise des portraits d’enfants et de domestiques, œuvres à l’expression puissante, que son galeriste achète.
Sensuels sans excès, les nus assis ou couchés tiennent une place importante dans cette création. Les formes sont parfois discrètement cernées par un fin tracé ; un bel hommage à la femme. Un visage ovale, peu décrit comme dans les portraits ; ces nus célèbrent la beauté.
Modigliani a créé une œuvre hors du temps ; mélancolique, devenu une icône de l’art moderne, il ne cesse de séduire. Il est intéressant de découvrir à travers sa création ses rapports étroits avec Paul Guillaume. Un moment emblématique de l’histoire de l’art.
Paul Guillaume, Mme Archipenko et Modigliani à Nice sur la Promenade des Anglais, photographie (photo originale sur carte postale), 1918-19 13, Paris, musée de l’Orangerie, don de M. Alain Bouret
RMN-Grand Palais (Musée de l’Orangerie) / Archives Alain Bouret, image Dominique Couto
Référence : AJU010s6