Mozart chambriste

Publié le 05/02/2019

Harmonia Mundi

La violoniste Isabelle Faust et le pianiste Alexander Melnikov se lancent dans l’intégrale de sonates pour piano et violon de Mozart. Ce premier volume présente deux des sonates de la période médiane et une pièce plus tardive. La Sonate K. 304 est la quatrième d’une série des six composées et publiées à Paris en 1778. Mozart y émancipe la traditionnelle sonate violon-piano vers ce qu’il appelle des « Duetti » où les deux instruments jouent plus ou moins à part égale. Le tragique va s’imposer peu à peu au premier mouvement. Le sérieux du discours apparaît au fil de figures rhétoriques comme le procédé de la répétition, l’ostinato, les sauts dans le grave, etc. Cette impression perdure au Tempo di Minuetto : même climat intense de nostalgie, voire d’angoisse. L’intermède central, où le thème passe en majeur, semble l’évocation d’une tendresse heureuse. La Sonate K. 306 offre un grand style virtuose et quasiment concertant. Ainsi de l’Allegro con spirito qui débute très enlevé, propulsant littéralement le discours. On remarque les traits effilés du violon et le clavier presque guilleret, en particulier dans le développement de rythme très soutenu. L’Andante cantabile marque une pause : il est introduit par la mélodie du clavier, comme une aria d’opéra, qui ne peut malgré tout cacher quelque tristesse. L’Allegretto final est de nouveau d’un entraînant babil. Il est orné d’une cadence des deux instruments, qui s’ouvre par le piano seul auquel se joint le violon, d’abord à l’unisson, dans un traitement audacieux, puis en un duo très ouvragé.

La Sonate K. 526, contemporaine de la composition de Don Giovanni, resplendit de vie et de mort. Il y a quelque chose d’empressé et d’ardent au Molto allegro initial, une sorte de « moto perpetuo » qui progresse allègrement. L’Andante s’épanche calmement : instants de paix, comme souvent chez Mozart au médian d’une œuvre concertante, de piano en particulier. Moments d’introspection obtenus par un jeu en clair-obscur, où l’on glisse imperceptiblement vers une tonalité plus sombre. Le Presto final se signale par ses bonds syncopés, d’une belle ivresse sonore. La grande vivacité permet au discours d’aller de l’avant, avec cette manière enjouée dont Mozart l’assortit.

L’entente, déjà éprouvée dans d’autres répertoires, entre Isabelle Faust et Alexander Melnikov porte de nouveau ses fruits. On y ajoutera la finesse du style et surtout les couleurs procurées par les deux instruments joués : le pianoforte de Christoph Kern d’après Anton Walter (1795), et sa transparence cristalline comme ses graves chaleureux, le strad « Sleeping beauty », de 1704, au son volontairement non brillant.

S’ils ne sont pas le lieu des grandes confidences comme les concertos de piano, les sonates pour clavier semblent néanmoins un espace choisi où Mozart s’épanche discrètement. Fabrizio Chiovetta propose quatre pièces qui se situent à des périodes différentes. Qu’il joue avec une pénétrante sensibilité. La Sonate K. 282, troisième d’une série de six, se situe dans le style dit galant, comme pratiqué par Joseph Haydn dans ses propres sonates contemporaines. Mais la manière de Mozart s’y affirme déjà pleinement, renfermant une ardeur fébrile. Elle débute par un Adagio aux jolis mélismes italiens. Le cœur de l’ouvrage, Menuetto I & II, offre une texture dite en trio, qui voit pour chacun des deux menuets se succéder trois brèves sections. Le finale est incisif et presque espiègle. Toute autre est la Sonate K. 330 qui date du deuxième séjour parisien de Mozart. L’ambitus est plus développé. Sous une apparence d’insouciance, l’Allegro maestoso révèle un tourment passionné à travers des accords martelés et un rythme pointé insistant. Agitation qu’on retrouve au finale Presto, empreint d’une fièvre et d’une ardeur qui semblent vouloir combattre tout. Il y a là un mélange de joie et de désarroi, les larmes derrière les rires. L’Andante cantabile con espressione central avait déjà esquissé un sourire teinté de détresse.

La Sonate K. 332 marque une étape décisive vers les œuvres de la maturité. L’Allegro initial est bien mélodique, le développement déployant une dramaturgie très ouvragée. L’Adagio est une pure page bel cantiste où la main droite dessine la mélodie, la gauche dépassant le rôle d’accompagnement. L’Allegro assai final est prolixe et enjoué. Le développement dramatise mais toujours dans cette belle équanimité mozartienne. Le pianiste Fabrizio Chiovetta, qui a travaillé avec Paul Badura Skoda, dont il est un des disciples, propose un jeu d’un parfait naturel et d’une grande sobriété. Exempt d’affectation comme de virtuosité ostentatoire. Voilà un pianisme humble et aux arrière plans profonds.

LPA 05 Fév. 2019, n° 142m0, p.16

Référence : LPA 05 Fév. 2019, n° 142m0, p.16

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