Musique de chambre au sommet

Publié le 09/05/2018

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Pour son retour au disque après un silence de plusieurs années, l’altiste Yuri Bashmet a choisi d’interpréter les deux sonates de Brahms en compagnie de sa fille Ksenia. Ces deux partitions, les dernières confiées par le musicien au répertoire chambriste, ont été conçues pour la clarinette, que Brahms avait “découverte” grâce au virtuose Richard Mühlfeld. Il en a prévu aussi une version alternative pour alto. La sonorité par nature mélancolique de cet instrument, sa vocalité par essence expressive conviennent parfaitement à ces pièces toutes d’intériorité et d’intimité. Les deux sonates de l’Opus 120 ne sauraient être dissociées tant leur caractère méditatif et un lyrisme secret les rapprochent. Brahms n’y cherche pas la virtuosité mais l’intimisme, comme s’il s’agissait d’un journal intime.

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La Première Sonate s’ouvre, tempétueuse, par un allegro appassionato qui distille plusieurs thèmes savamment agencés au cours du développement et de la réexposition. La rêverie de l’andante bénéficie beaucoup du timbre voilé de l’alto et du legato qu’il permet, pour traduire son caractère charmeur. Dans l’allegretto grazioso, en forme de scherzo, le dialogue entre les deux partenaires alterne échange joyeux et tendre badinage. Très libre dans sa construction, le finale « Vivace » signale une belle complicité entre les deux voix jusqu’à une conclusion brillante. La Deuxième Sonate est de climat plus serein. La lumineuse tendresse de l’allegro amabile est magnifiée par le chant de l’alto. Ce qui est discours presque amoureux y gagne sans doute par rapport à la version pour clarinette. L’allegro appassionato s’avère non moins ardent, plus impétueux, et la section médiane sostenuto apporte une bienfaisante respiration. L’andante final, bâti sur le schéma thème et variations, est là encore joliment métamorphosé par la tonalité grave de l’alto qui apporte une chaleur expressive essentielle à cette musique de l’âme.

Le dialogue délicat et sensible au cœur de ces sonates trouve en Yuri et Ksenia Bashmet des interprètes très inspirés partageant une vraie complicité et chez qui la technique est asservie au souci de l’expressivité. C’est une joie de retrouver la sonorité longue et ronde de l’alto de Yuri Bashmet, tour à tour sombre et fantasque, fougueuse et mélancolique. Le piano de Ksenia Bashmet n’est pas en reste : formée à la grande école russe, elle déploie un son souverain, architecturé et plein de couleurs.

Au sein de la production d’Edvard Grieg, les trois sonates pour violon occupent une place particulière. Écrites entre 1865 et 1887, elles constituent une sorte de portrait vivant du musicien qui voyait en elles « différentes périodes de mon développement – la première naïve et riche d’idées, la deuxième nationaliste, et la troisième ouvrant de nouveaux horizons ». La Sonate op. 8 se signale par sa fraîcheur d’inspiration. À l’aune du « con brio » qui l’ouvre : après deux accords mystérieux, la mélodie jaillit on ne peut plus spontanément. Une belle vitalité imprègne tout le mouvement. L’allegretto, qui n’est autre qu’un scherzo, poursuit ce chant lyrique, épousant déjà la veine folklorique norvégienne. Le finale allegro molto vivace déborde d’énergie et l’inspiration se libère, quelque peu schumannienne, en particulier dans l’antagonisme entre force et lyrisme. La Deuxième sonate op. 13 s’inscrit dans cette belle tradition norvégienne qui sera celle de tant d’œuvres de Grieg. Une brève introduction « doloroso » fait place à la fête joyeuse, presque véhémente. Les deux instruments sont traités sur un pied d’égalité pour traduire l’ample lyrisme qui baigne ces pages presque amoureuses. L’allegretto tranquillo offre une pointe de mélancolie et en même temps une profondeur certaine. L’animato est on ne peut plus dansant, dans un rythme sautillant au piano. Une généreuse inspiration populaire, qui va s’amplifiant dans un lyrisme solaire, mène ce finale à l’incandescence.

Plus tardive, la Troisième Sonate ouvre de nouvelles voies. Si elle est encore présente, l’inspiration folklorique est désormais asservie à une recherche poussée d’expressivité et à un geste plus large avec déploiement de puissance inédit chez Grieg. En témoigne l’allegro, empli de souffle et de drame, dont le lyrisme n’est cependant pas absent. L’allegretto espressivo qui suit, entamé par la cantilène du piano, ouvre la voie au chant du violon qui se déploie généreusement. Si l’inspiration populaire et son lyrisme séduisant ne sont désormais plus que sous-jacents, l’intensité profonde fait de cette page de romantisme finissant un moment plein de charme. Un “Animato” conclut en apothéose avec des recherches harmoniques nouvelles chez Grieg, unissant manière élégiaque et verve. Vineta Sareika et Amandine Savary livrent de ces pièces des exécutions magistrales. Au violon habité et solaire de Sareika répond le pianisme expressif et structuré de Savary.