Noël sous le lac – Des lumières dans l’eau

Conte de Noël
Publié le 23/12/2022

Gwenaël et Armel, en train de pêcher depuis leur barque

BGF

Tôt ce matin, Gwenaël sort de la maison, se rend dans le garage où il range ses équipements, choisit ses cannes et lignes, vérifie les appâts. Il enfile ses waders puis une grosse veste matelassée. La casquette au bord des yeux, il hale le canot pour le fixer en remorque à son 4×4. Tout est ainsi paré. À l’intérieur de l’automobile, les cannes fixées par-dessus les sièges arrière se balancent doucement. Ce matin, son fils Armel est de la partie. Emmitouflé dans sa parka, l’enfant sautille de joie à l’idée d’aller attraper des poissons avec son père. Il sait qu’il ne les rapportera pas à la maison et qu’il ne les mangera pas. Les tanches, les brochets, même les très laids et gros silures pris au bout de la ligne, sont immédiatement décrochés des hameçons, mesurés, photographiés et rejetés à l’eau. Armel rêve de sortir un poisson de bonne taille mais pas trop tout de même, de le porter dans ses bras, de le caresser avant de le rendre à son univers de poissons.

Le temps est frais, les nuages bas sur les champs frissonnent comme les hommes et les animaux. Les branches des arbres dénudés tendent leurs têtes, cherchant une improbable lumière. L’enfant guette les fourrés, espérant voir bondir des chevreuils ou peut-être galoper un lièvre. Ils savent qu’ils sont en sécurité dans les taillis ; ici, on ne les chasse pas. Il arrive parfois qu’un « longue oreille » – comme les appelle l’oncle Édouard qui a été dans la Marine, et ne prononce jamais le mot « lapin » car il porte malheur dans les bateaux – s’égare sur la grande pelouse. Aussitôt, les chiens qui ne sont pas avertis qu’« ici, on ne chasse pas », s’élancent à sa poursuite dans une course effrénée. Armel a beau s’égosiller de sa petite voix en criant : « Nana, Rhapsodie au pied ! », ils ne lui obéissent pas. Jusqu’à présent, la meute n’est jamais parvenue à rattraper les léporidés.

La barque glisse sur le lac. Le bruit du moteur a rompu l’harmonie de ce matin brumeux. Gwenaël se dirige vers l’une des rives où il sait, selon son expérience, qu’il a des chances de prendre. L’eau est si lisse que l’on a l’impression de voir à travers et de distinguer ce que révèle les fonds.

« Je vois des ombres sous l’eau », dit l’enfant à son père.

Absorbé par sa route et afin de ne pas manquer son lieu de pêche, le père ne répond pas.

« Papa, je t’assure qu’il y a gens sous l’eau ».

Gwenaël prend un air dégagé tout en surveillant la rive :

« Mais non, mon chéri, ce sont des illusions. Il est vrai qu’autrefois, il y avait une maison qui a été submergée lorsque le lac a été formé ; mais tous ses habitants l’avaient quittée depuis longtemps ». 

Gwenaël se souvient de l’histoire de la ferme enfouie sous les eaux. Son grand-père lui avait raconté qu’autrefois, il y avait un chemin et que l’on pouvait passer d’une rive à l’autre. Et aussi que depuis chaque année autour de Noël, on voyait des lumières sous l’eau et l’on entendait des chants comme si une fête se déroulait là, à quinze mètres sous la surface du lac.

(À suivre)

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