On le paie en argent plutôt qu’en or

Publié le 09/08/2024

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José Maria de Heredia, il fréquenta des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Edition Artistique. Nous poursuivons cet été la description qu’il fit de Titien et les princes de son temps.

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« Le nombre de tableaux que Titien donna, pour se les gagner, à tous les gouverneurs, trésoriers, conseillers, procureurs de Naples ou de Milan, afin de rentrer dans ses fonds, le plus souvent sans résultat, est vraiment extraordinaire. À partir de ce moment il n’est pas une lettre de Titien adressée à Charles-Quint et plus tard à Philippe II qui ne contienne, dans les termes les plus lamentables, une réclamation à ce sujet. La bonne foi des souverains n’est pas douteuse. Les archives nous montrent leurs ordonnances précises, péremptoires, parfois sèches et presque menaçantes. On leur en accuse réception dans les termes les plus soumis, mais quand Titien ou l’un de ses mandataires se présente, il n’y a rien. Si, à la fin, les trésoriers s’exécutent, ils le font en rechignant, comme des usuriers de comédie. À Gênes, au lieu de le payer en or, on le paie en argent, ce qui lui occasionne une perte de 20 pour 100. À Milan, on lui offre, non pas du numéraire, mais deux cents balles de riz qu’il est obligé de faire revendre dans de mauvaises conditions. Parfois, le recouvrement de ses arrérages lui coûte plus cher encore, comme en 1550, lorsque Orazio, son fils, étant parvenu à toucher les sommes dues, faillit être victime d’un assassinat. Dans toutes ces circonstances, les souverains espagnols intervinrent personnellement avec une persistance, souvent inutile, mais aussi remarquable que l’opiniâtreté même du concessionnaire.

Lorsque Charles-Quint se trouva avec le Pape Paul III à Busseto en 1543, Titien fut encore de sa suite, mais c’est surtout en 1548, durant la diète d’Augsbourg, que l’empereur lui donna publiquement des témoignages de son amitié et de sa confiance. L’invitation de Charles-Quint avait été si pressante qu’il n’avait pu la décliner, bien que la traversée des Alpes, à cheval, en plein hiver, fût une expédition peu tentante pour un vieillard de soixante et onze ans. Mais que refuser au vainqueur de Muhlberg, qui, sûr maintenant de la soumission de l’Europe, venait d’intimer au pape l’ordre de réunir le concile à Trente, et, traînant à sa suite, comme un ours enchaîné, le gros électeur de Saxe, son prisonnier, convoquait à Augsbourg, pour se montrer dans sa gloire, tout le ban et l’arrière-ban des noblesses allemande, espagnole et italienne ? » (À suivre)

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