Oreiller d’herbes
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La rentrée littéraire pointe son nez. Les libraires et la presse ont reçu les nouvelles parutions. Parmi celles-ci se trouvent les auteurs qui seront récompensés par l’un des prix littéraires décernés cet automne. Nous souhaitons toutefois parler du livre de Sôseki paru chez Rivages en 1967, et réédité plusieurs fois depuis. Pourquoi ? Parce que ce roman, écrit en 1906, est inclassable, original quant à sa structure et son écriture. Il est considéré comme une analyse sur la sensibilité japonaise et comme une œuvre de la modernité du début du XXe siècle.
Oreiller d’herbes est un livre à mi-chemin entre le roman et l’essai. Une réflexion sur l’art. Un peintre habitant Tokyo décide de se retirer dans les montagnes. Son but est de peindre et de se reposer, mais principalement faire le point sur son art. Au cours des chapitres, il s’interroge sur la création, la sensation, comment distinguer l’art japonais de l’art occidental, en observant la nature et les être humains qu’il rencontre. Il prend domicile dans une auberge d’une station thermale où il est le témoin silencieux d’un curieux manège. Une femme y habite, très belle, mais énigmatique. Elle semble chargée d’un passé mystérieux que le peintre essaie de cerner. Il est toutefois confronté aux légendes du lieu et aux commérages qui s’entremêlent autour de cette personne. À travers son observation, cette femme lui apparaît comme un modèle idéal pour un peintre ou le personnage d’un roman qu’il pourrait écrire.
Cette femme énigmatique se nomme Nami. Elle est la fille de l’aubergiste. Autour d’elle, une légende comme un voile suscite la curiosité de l’artiste. Pourra-t-il le déchirer ? Il se met donc en quête.
« Cette silhouette que je viens d’apercevoir, si on n’y voit qu’un phénomène, aux yeux de quiconque, aux oreilles de quiconque, elle prendra une poésie considérable. Un village d’eau isolé… L’ombre de fleurs au printemps… un chant à mi-voix au clair de lune… Ce sont des thèmes de prédilection pour un artiste. Bien que j’aie ces sujets-là à ma disposition, je ne m’en contente pas et je fouille ailleurs. J’ai pinaillé dans cet univers au raffinement extrême et mon appréhension a rompu le charme inespéré de la situation. Dans ces conditions, je n’ai aucun titre à faire profession d’impassibilité. Il faut que je m’entraîne davantage pour revendiquer devant autrui le statut de poète ou de peintre. J’ai entendu dire que jadis le peintre italien Salvador Rosa, pour étudier les voleurs, n’a pas craint de s’intégrer, au risque de sa vie, à une bande de brigands. Puisque moi aussi je suis parti à l’aventure avec en poche un carnet d’esquisses, il faut que je fasse preuve d’une telle détermination ».
Natsumé Sôseki (1867-1916) naquit à Edo. Il étudia puis enseigna la littérature anglaise dans cette ville. Son patronyme est Natsumé, mais il est généralement désigné avec son prénom Sôseki qui signifie littéralement « se rincer la bouche avec une pierre ». Spécialiste de la littérature anglaise, le gouvernement japonais l’envoya en Angleterre de 1900 à 1903 pour se perfectionner. Il passa son temps à lire et à s’imprégner d’auteurs tels que Sterne, Defoe ou Swift. Quand il rentra au Japon, Sôseki succéda à Lafcadio Hearn à la chaire de littérature anglaise de l’université de Tokyo. Grâce au succès qu’eut son roman satirique Je suis un chat, paru en 1905, Sôseki put alors se consacrer pleinement à la littérature.