Passeport d’Alexis Michalik : le droit d’asile édulcoré
L’auteur-metteur en scène à succès Alexis Michalik aborde le deuxième sujet politico-juridique de sa carrière au Théâtre de la Renaissance. Après Intra-Muros et le monde de la prison, il entre dans celui de l’asile et de la migration avec Passeport. Le traitement à la fois dramaturgique et au fond est moins réussi, car il ne fait qu’effleurer des questions qui sont à la fois juridiques, politiques et sociales en les abordant sous un prisme angélique et optimiste, intentions louables mais d’une efficacité incertaine.
Théâtre de la renaissance
C’est la deuxième fois qu’Alexis Michalik traite d’une question qui touche à la fois au droit et à des fondements politico-sociétaux. Dans Intra-Muros, il était entré dans le monde de la prison. Si le propos n’était pas dénué de tout angélisme, il avait pour mérite de n’être ni mièvre, ni prétentieux et de maintenir le spectateur en alerte constante du fait d’une mise en scène extrêmement rythmée, ce qui constitue la marque de fabrique de l’auteur multi primé du théâtre privé. Les Molières décernés pour ses précédents spectacles (Le Porteur d’histoire, Le Cercle des illusionnistes, Edmond, Une histoire d’amour, Les Producteurs) sont les témoins de leur indéfectible succès public, déjà assuré pour Passeport, qui applique la même recette : distribution engagée, mise en scène rythmée, optimisme à tout crin, humour qui reste politiquement correct, références philosophiques ou littéraires accessibles de 7 à 97 ans. Autant d’éléments qui permettent à une salle de passer une bonne soirée en se donnant même éventuellement bonne conscience, sachant qu’un partenariat a été établi à l’occasion de ce spectacle avec le musée de l’histoire de l’immigration et l’association Cuistots Migrateurs.
À la différence des précédentes pièces, le sujet n’est anodin sur le fond ni dans sa dimension intemporelle, ni dans sa dimension spécifiquement contextuelle (l’adoption de la loi sur l’immigration et sa censure partielle par le Conseil constitutionnel), ni dans son actualité humaine morbide ininterrompue.
Alexis Michalik situe l’intrigue à Calais, dans la dénommée « Jungle », nom donné par ses premiers occupants détournant le terme persan de forêt comme cela est rappelé à deux reprises dans la pièce. Temporellement, l’action se déroule en 2015 car le site est officiellement démantelé depuis 2016-2017, même si la ville continue d’être un point de passage vers le Royaume-Uni et que le lieu est toujours le théâtre de situations d’extrême précarité, comme l’a dénoncé la mission récente d’une délégation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe1. Après une présentation « identitaire » des sept personnages alignés face public en bord de plateau, l’histoire commence : Issa est retrouvé sans connaissance et ensanglanté dans le camp, les pompiers mettent du temps à arriver car ils se font « caillasser » comme des gendarmes avec lesquels ils sont confondus par les occupants, et une fois réveillé, à l’hôpital, se découvre amnésique et Erythréen, sur foi du passeport retrouvé sur lui. Se liant d’amitié avec deux compagnons d’infortune (Arun « le » Tamoul et Ali « le » Syrien), le trio réussit à sortir de la « Jungle », à travailler clandestinement à Paris dans un restaurant où Issa fait des miracles en proposant des plats venus de toutes les étapes supposées de sa route migratoire, géographie qu’il révise dans les livres d’une bibliothèque où il tombe amoureux de Yasmine qui y travaille et le soutient (avant de devenir sa compagne et mère de leur enfant) dans la préparation de son entretien à l’OFPRA, lequel Office lui accorde l’asile ; puis convainc un banquier qui accorde un prêt pour l’ouverture de son propre restaurant qui sera dénommé Jungle. Une autre histoire d’amour et de mémoire, entre Lucas, gendarme, et Jeanne, journaliste, se déroule en parallèle et aborde dans la même caricature des personnages, le racisme ordinaire et décomplexé d’un Calaisien qui rappelle que tout de même son fils (adopté) est « noir », lequel sera impliqué dans un coup de théâtre final.
Ainsi (fidèlement) résumé, l’on peut comprendre que la pièce tombe à la fois dans un certain nombre de clichés et de simplifications que l’on ne peut que regretter davantage du fait de la capacité du prodige du théâtre privé à attirer des foules sur un sujet si difficile où le théâtre a évidemment ses limites, mais également les moyens d’aborder le sujet avec rigueur, et non moins d’humour et d’inventivité dramaturgique comme l’ont démontré de nombreux spectacles depuis une dizaine d’années.
En effet, ce n’est pas la première fois qu’un dramaturge s’intéresse à la question de la migration et de l’asile. Ariane Mnouchkine et Lina Prosa ont été les pionnières. La première dans une approche très réaliste avec la dimension toujours fantastique qu’on lui connaît, utilisant notamment le lieu emblématique de Sangatte2 ; la seconde dans une dimension poétique et conceptuelle mais non moins ancrée dans la réalité de ladite crise migratoire, notamment sur sa terre sicilienne de Lampedusa3.
Récemment des dramaturges ont même fait du droit de l’asile et des migrations lui-même la clef de voute de leurs spectacles flirtant avec le genre du théâtre documentaire. Au Festival d’Avignon4, dans le In, Patricia Allio a présenté une quasi-leçon de droit international et européen de l’asile avec Dispak Dispac’h, convoquant des acteurs de terrain pour témoigner concrètement des actions menées à Calais, par les associations humanitaires (précisément Utopia 56) et les affrontements ou jeu de cache-cache pendant les maraudes avec les forces de l’ordre. Dans le Off, Faustine Nogues a pointé l’écart entre les règles de droit et le principe de solidarité. Précédemment, au Théâtre 13, Pierre-Marie Baudoin avait été jusqu’à utiliser des audiences de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) dans sa pièce Fictions d’Asile. Au nom du peuple français5, en parvenant à restituer l’ambiance qui règne véritablement au sein de cette juridiction et faire comprendre intelligemment les enjeux qui s’y déroulent. Autant de pièces qui se revendiquent sans complexe être du théâtre politique.
Le propos d’Alexis Michalik reste quant à lui politiquement correct et non exhaustif sur le plan juridique, ce qui heurterait inévitablement l’optimisme de la proposition théâtrale. Ainsi l’OFPRA est mentionné notamment dans un passage ironique, non sans raison, soulignant le goût immodéré de la langue bureaucratique pour les listes infinies d’acronymes, mais pas la CNDA. L’artifice partiel de l’entretien (« le grand oral »), organisé pour chaque demandeur de protection internationale, est pointé et apprend certainement à beaucoup de spectateurs l’importance de la connaissance de son environnement géopolitique pour mieux convaincre sur la véridicité du « périple » et « mériter ou non un titre de séjour », sans que les critères juridiques ne soient vraiment considérés. Enfin, le système Dublin est didactiquement résumé, même si justement toutes ses subtilités sont gommées.
L’intention de vouloir parler des multiples identités et origines qui composent la société française et de rappeler des chiffres venant contredire la thèse du « grand remplacement » est donc louable et l’on doit se réjouir, si cela permet à quelques spectateurs de penser le sujet de l’asile et de la migration avec un regard davantage bienveillant, en espérant que cela les conduise à ne pas se contenter du happy end et regarder en face des réalités alarmantes de cette crise qui est humanitaire plus que migratoire.
Notes de bas de pages
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1.
Sous-commission ad hoc de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées chargée d’effectuer une visite d’information à Calais, 29 nov. 2023, AS/Mig/inf (2023) 14. La rapporteure Stéphanie Krisper attire à juste titre l’attention sur les persistants besoins humanitaires des personnes réfugiées, migrantes et demandeuses d’asile, qui sont dans leur majorité bloquées dans cette région en raison des dysfonctionnements du système Dublin.
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2.
La création Le Dernier Caravansérail (Odyssées) d’Ariane Mnouchkine qui date de 2003 est composée de deux parties (Le Fleuve cruel et Origines et destins) ; elle a fait l’objet d’une adaptation en film très réussie en 2006. E. Saulnier-Cassia, « Le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, un théâtre humaniste utopique sous les auspices de la devise républicaine », Revue Droit & Littérature 2022.
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3.
Il s’agit de la Trilogie du naufrage. La première partie intitulée « Lampedusa Beach » a fait l’objet d’une chronique Du droit dans les arts : E. Saulnier-Cassia, « De Lampedusa à la Comédie Française : le théâtre dangereux des frontières européennes », LPA 13 févr. 2014, p. 14.
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4.
E. Saulnier-Cassia, « Des leçons de droit au festival d’Avignon : la violation des droits fondamentaux dans le domaine de l’asile, source d’inspiration des dramaturges », Actu-Juridique.fr 27 juill. 2023, n° AJU009u6.
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5.
E. Saulnier-Cassia, « Fiction d’asile : la Cour nationale du droit d’asile en récit(s) », Actu-Juridique.fr 29 nov. 2022, n° AJU006w9.
Référence : AJU012l2