Peindre la banlieue. De Corot à Vlaminck, 1850-1950
Hervier de Romande, Paul Féval en barque sur la Marne, 1890, huile sur toile, 128 x 171 cm, Musée de Nogent-sur-Marne.
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La peinture n’est pas seulement plaisir de l’œil, émotion, réflexion, elle peut être aussi témoin du temps, de l’évolution de la vie. C’est ce que met en lumière l’exposition « Peindre la banlieue » en cours à l’Atelier Grognard.
La banlieue parisienne a changé de visage en 100 ans avec le développement de l’industrie alors que la nature y était reine, et attirait les artistes. Ainsi, au cours d’un siècle, les peintres ont immortalisé ces changements à travers leurs différents regards. En 1850, l’école de Barbizon est en plein essor, mais les déplacements étant devenus plus faciles avec l’arrivée du chemin de fer, ils délaissent la forêt pour d’autres coins d’Île-de-France.
L’exposition s’ouvre sur des paysages, forestiers pour la plupart, signés Jean-Baptiste Camille Corot et sa finesse d’écriture mais aussi Paul Gauguin avec une clairière qui évoque l’école de Barbizon ; il partira ensuite pour les îles. De Camille Flers, un remarquable « portrait » d’arbre, ou encore Charles-François Daubigny qui propose une vue de la Seine paisible à Bezons. Dans les années 1850-1870, le paysage est encore souverain en peinture ; on perçoit dans les diverses compositions un sentiment intime de la nature. Dès la fin du XVIIIe siècle, la campagne autour de Paris attire les peintres qui cherchent déjà à capter les effets de lumière inspirés par les Anglais et les Hollandais. À partir de 1850, ils évoquent le paysage et également les fermes et les routes, ainsi de Paul Cézanne une Route de village, Auvers assez triste en des tons d’ocre brun. Quant à Camille Pissarro, il apparaît sensible ; il restera à l’écart des thèmes modernes.
L’eau est un élément important : dans les toiles de Stanislas Lépine, Johan Barthold Jongkind ou Albert Gleizes, elle anime le site. Artistes connus ou inconnus animent ce parcours révélateur de l’intérêt de chacun pour le paysage.
Peu à peu la banlieue va évoluer, les usines se substituent à la campagne dès 1908 et les artistes évitent tout d’abord de les reproduire. Cette modernité dérange l’ordre établi : la nature sereine va subir une mutation importante, il ne sera plus question de dialogue avec elle. Dès 1872, Claude Monet peint la gare d’Argenteuil avec locomotive à vapeur, rails, bâtiments austères entre gris et bruns sous un ciel couvert. Cheminées d’usines arborant leur panache de fumée, ponts, bâtisses industrielles s’inscrivent dans le paysage. On devine la nostalgie des artistes devant cette disparition de la nature qu’ils inscrivent cependant autant que possible dans leurs tableaux, œuvres souvent dans des tons ténébreux, parfois traversés de lumière.
Si le territoire change, l’eau demeure présente : Alfred Sisley la chante en une palette froide, Albert Lebourg et d’autres cherchent des lieux où l’eau, la nature sont encore préservées ; souvent seuls les ponts viennent troubler ce cadre. On remarque les fort intéressants Pêcheurs au bord de la Seine qu’Henri Le Sidaner suggère plus qu’il ne décrit ; et l’on est surpris de découvrir un Pont de Poissy figuratif de Francis Picabia avant son passage au modernisme. Chalands, péniches glissent sur l’eau, Maximilien Luce les évoque avec délicatesse tandis que Maurice de Vlaminck révèle sa puissance d’écriture, de même que Marcel Gromaire dont l’œuvre possède des relents cubistes.
Assez rapidement l’industrie absorbe la banlieue, la nature disparaît ; des artistes engagés, comme Paul Signac ou Maximilien Luce, tentent d’alerter sur cette disparition ; ce ne sont plus que cheminées fièrement dressées. Un côté ensoleillé cependant avec la banlieue des loisirs : guinguettes, promenades en barque que nous décrit Maurice Denis, quant à Albert André, il renouvelle agréablement le déjeuner sur l’herbe.
De la nature à la silhouette d’usines, c’est le bouleversement de la banlieue recréé par les artistes.