Pierre Boulez écoutait la peinture
Maria Helena Vieira da Silva, Hiver, 1983, estimé 80/120 000 €
Artcurial
Pourrait-on dire que certaines toiles de Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) s’apparente à de la musique sérielle ? En tous cas, Pierre Boulez (1925-2016), une génération plus tard, aimait contempler de cette artiste la toile Hiver, exécutée en 1983. Celle-ci sera vendue le 7 juin prochain par Artcurial avec une estimation de 80/120 00 €, lors de la dispersion des collections du musicien. Boulez, influencé par le « mode de valeurs et d’intensités » d’Olivier Messiaen, s’était orienté vers un sérialisme généralisé. Cette technique, permettant de composer des œuvres atonales, avait été étudiée peu après la Grande Guerre par Arnold Schönberg (1874-1951), en même temps que le dodécaphonisme, méthode utilisant douze degrés chromatiques, aux modulations créées pour nous faire perdre tout repère.
Quoique classée parmi les abstraits, Vieira da Silva est restée en lien avec la réalité figurative réduite en perspectives et en carreaux. « Elle renoue avec les lignes fuyantes de la Renaissance et gomme la volonté de toute une génération d’aplatir la représentation et de figurer les sujets sur un seul plan homogène. Ses lignes convergent vers un point central et sont organisées en résille, en échafaudage », rapportait Jean-Pierre Delarge, dans son Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains. De son côté, Pierre Boulez, malgré les apparences, tout en étant soucieux de faire entendre la musique moderne, a toujours conservé une approche « classique » de la composition et de son contrôle. Chef d’orchestre de renommée internationale, il dirigea les formations les plus traditionnelles, interprétant les pièces les plus emblématiques de la musique.
Il vécut ainsi avec Wagner, Stravinsky, Ravel, Debussy, et n’hésita pas à créer des parallèles entre ces compositeurs et des peintres, comme entre Paul Cézanne et Claude Debussy, ou Piet Mondrian et Anton Webern. Sa collection, composée de tableaux, aquarelles, dessins et estampes, témoigne des liens que le compositeur a pu tisser avec les peintres tout au long de sa longue carrière : Maria Helena Vieira da Silva que nous avons cité plus haut, Alejandro Otero, ou Jean Tinguely (avec Sans titre, un ensemble de 12 œuvres concernant la Fontaine Stravinsky de 1983 à Paris, estimé 35/55 000 €), Alberto Giacometti, Joan Miró, Arnaldo Pomodoro, Zao Wou-Ki (avec Sans titre, une encre et aquarelle sur papier, estimée 20/30 000 €) mais Paul Klee, Jean Cocteau, Philip Guston, Pierre Soulages, Francis Bacon, Bernard Saby et bien d’autres…
Plutôt que de s’inspirer d’œuvres picturales en particulier, Pierre Boulez s’intéressait aux réflexions des peintres dans la conception de leurs toiles, et les transposait dans le domaine musical pour en tirer de nouveaux procédés d’écriture. Sa découverte de Paul Klee, par exemple, le marqua profondément et l’incita à élargir sa pensée de l’espace musical.
Artcurial, Hôtel Marcel Dassault, 7 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris
Référence : AJU008x7